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Suspension de chefs cantons jugés proches de l’opposition : Boukpessi confirme la dévalorisation de la chefferie traditionnelle

Ils sont devenus des sujets du pouvoir administratif. La sanction annoncée mercredi par le Conseil des ministres confirme, non seulement la mainmise du régime sur les gardiens des us et coutumes, mais aussi la désacralisation du titre de chef traditionnel.

Le 13 janvier reste indubitablement une date mémorable dans l’histoire du Togo. En 1963, c’est l’assassinat du père de l’indépendance, Sylvanus Olympio. En 2021, le gouvernement a consacré la dévalorisation de la chefferie traditionnelle dans le pays. En effet, le gouvernement Victoire Dogbé a tenu son 2ème Conseil des ministres de l’année. Dans le communiqué qui a sanctionné la réunion, on apprend qu’un avant-projet de loi et un projet de décret ont été examinés, et cinq communications ont été faites.

Ce qui retient l’attention, ce sont les comptes rendus du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développement des territoires, Payadowa Boukpessi. Selon le communiqué, le premier compte rendu est relatif aux décrets portant reconnaissance de quatre chefs cantons, trois désignés par voie coutumière à Pagouda, Pessare et Sessaro, et un par voie élective dans le canton de Imle, préfecture de l’Amou. En plus de l’annonce des reconnaissances, le ministre a annoncé la suspension pour six mois de trois chefs canton. Il s’agit de celui de Vokoutimé dans la préfecture de Vo, et ceux de Djama et Glei, deux cantons de la préfecture de l’Ogou. La raison de cette suspension est, selon le pouvoir, « la mise en place d’une organisation illégale de chefferie traditionnelle ».

Une décision qu’il reste à clarifier

« Mise en place d’une organisation illégale de chefferie traditionnelle ». C’est ce que l’autorité administrative reproche aux autorités traditionnelles suspendues. Difficile de comprendre ce que Payadowa Boukpessi voudrait dire à travers cette expression. La curiosité, c’est que même les intéressés, selon des sources proches de ces palais royaux, ne savent pas avec exactitude la faute qu’ils ont commise pour mériter un tel châtiment. Ce qui ressort de la note à eux transmise par les préfets, c’est qu’ils sont suspendus pour 6 mois. Durant cette période, ils ne doivent plus s’adresser à leurs sujets, traiter des affaires liées à la chefferie, s’habiller comme un chef, mais en simple citoyen lamba. Ils ne bénéficieront pas non plus de leurs indemnités de chefs traditionnels. La note ne dit pas qu’ils ont failli à leurs missions ou qu’ils ont été reconnus coupables de telle chose ou telle autre. Et pourtant, la loi fait obligation à l’autorité administrative de communiquer au chef traditionnel son dossier afin que celui-ci puisse « présenter ses moyens de défense par écrit ». Quel est l’acte illégal qu’ils ont commis ? La parole à Payadowa Boukpessi.

On peut également se poser des questions sur la procédure de suspension de ces chefs cantons. D’après la loi n°2007-002 du 8 janvier 2007 relative à la chefferie traditionnelle et au statut des chefs traditionnels au Togo, il existe trois paliers de sanctions disciplinaires. L’avertissement, la suspension et le retrait de la reconnaissance par l’administration. Ces sanctions sont prononcées en fonction de la gravité du manquement. Sans avertissement, les trois chefs cantons ont été suspendus. «La suspension du chef traditionnel est prononcée par le ministre chargé de l’administration territoriale, sur rapport du préfet. La suspension ne peut excéder six (06) mois », lit-on à l’article 31 de la loi du 8 janvier 2007. On voit alors que les chefs cantons ont écopé du maximum de mois de suspension.

Pourquoi ? La raison est que les chefs traditionnels concernés par les sanctions ne sont pas en odeur de sainteté avec le pouvoir en place. Il s’agirait en réalité d’une sanction prise à l’encontre de personnalités traditionnelles qui sont simplement soupçonnées d’être proches de l’opposition.

Une loi qui viole le caractère sacré de la chefferie traditionnelle

S’il est vrai que les sanctions de Payadowa Boukpessi ont été prises sur la base d’une loi, il faut aussi avoir le courage de dire que ladite loi est une désacralisation légalisée de la chefferie traditionnelle au Togo. Depuis plusieurs millénaires, un chef traditionnel est désigné par ses sujets. Son autorité est basée sur la volonté de la communauté à laquelle il appartient. L’autorité administrative n’a donc aucune légitimité pour sanctionner un chef traditionnel, encore moins le démettre de ses fonctions. La chefferie traditionnelle n’a pas besoin de la reconnaissance de l’autorité administrative pour avoir le pouvoir que lui confère la communauté.

Au Togo, tout est fait dans le seul but d’enraciner la dictature. Les chefs traditionnels ont été transformés en des subalternes de ceux qui détiennent le pouvoir exécutif. Ainsi, ils sont obligés de leur obéir aux doigts et à l’œil. Le titre de chef traditionnel a été désacralisé et ceux qui sont censés être les gardiens des us et coutumes sont devenus des relais du pouvoir central. Au Ghana, au Burkina Faso et ailleurs, un chef traditionnel est une honorabilité. Il reçoit la visite du chef de l’Etat dans son palais et non le contraire. Il représente l’unité du pays et sa voie est prépondérante. Au Togo, la chefferie traditionnelle est dévalorisée et les sanctions de Payadowa Boukpessi ne font que confirmer la mainmise du pouvoir sur ces têtes couronnées autrefois sacrées.

G.A.

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