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Le franc CFA à un tournant


A quand l’évidente décision de plancher sur les réformes en profondeur sur les monnaies des deux zones franches ? La semaine écoulée a vu les choses se précipiter. Après le recadrage public de l’ancien Directeur Général du Fonds monétaire international (FMI) en avril 2018 par l’économiste Kako Nubukpo, Dominique Strauss Kahn vient d’effectuer un virage à 180° et parle aussi désormais de sérieux dépoussiérage du franc CFA. Les partisans du statu quo auront-ils encore et toujours des arguments pour vouloir maintenir cette partie de l’Afrique dans le giron de la parité fixe par rapport à l’euro ? Alassane Ouattara, ThiémokoMeyliet, KossiTenou et autres Lionel Zinsou doivent se gratter le synciput de leurs têtes.

Cette fois-ci, ce n’est plus cet économiste dont le Directeur national de la BCEAO au Togo, KossiTenou « ne sait pas où il a fait ses études » qui a encore parlé. Mais le journal panafricain Jeunafrique et le prédécesseur de Christine Lagarde, Dominique Strauss Kahn Les idéaux longtemps défendus par l’ancien ministre de la Prospective et de l’Evaluation des Politiques publiques commencent à percer les carapaces.

Et le journal panafricain s’en mêle aussi

Dans sa parution n°3049 du 16 au 22 juin 2019, Jeuneafrique titre : « Franc CFA/Ce qui doit changer ». Le journal se pose des questions essentielles, au cas où les unions monétaires doivent se maintenir : quelles seraient leur identité et leur vision du développement ?De quels moyens disposeraient-elles ? Devraient-elles être rattachées à une grande monnaie internationale stable? Autrement dit, quel régime de change faudrait-il mettre en place ? A ces interrogations, Jeuneafrique décline les réformes graduelles à amorcer.

D’abord trouver un autre nom, forger une nouvelle identité. Le nom de la monnaie doit inciter ses utilisateurs à se l’approprier, « ce qui n’est pas le cas », selon le journal. Le sigle CFA a aujourd’hui deux sens : Communauté Financière en Afrique de l’Ouest et Coopération Financière en Afrique centrale. « Mais personne n’a oublié sa signification originelle, colonies françaises d’Afrique ». Et d’une manière symbolique, il est suggéré que 2020 qui marquera le 60ème anniversaire de l’accession à l’indépendance de bon nombre d’Etats africains soit l’occasion pour « refaire ce que les Ghanéens firent dès 1965 : créer une nouvelle monnaie ».

Ensuite, ouvrir l’impression des billets à la concurrence. La fabrication des billets de banque est un marché public qui coûte cher aux banques centrales. « Pourquoi celles-ci ne pourraient-elles procéder à des appels d’offres afin de faire jouer la concurrence ? C’est ce que font la plupart de leurs consoeurs africaines », renseigne le journal.

Il y a aussi la suppression des comptes d’opérations. Ils sont à l’origine des plus vives critiques, constate Jeuneafrique. Rappelant que les 50% de réserves de change sont rémunérés à 0,75%, le journal estime que c’est autant d’argent que les banques centrales n’injectent pas dans leurs économies pour financer la croissance et créer des emplois. De plus, la garantie du Trésor français n’a pas suffi à éviter la dévaluation de 1994. Mais avec le temps, ces banques ont acquis l’expertise et devraient pouvoir voler de leurs propres ailes. Alors, « pourquoi ne pas, comme le suggèrent nombre de spécialistes, lancer un appel d’offres pour désigner un établissement financier international chargé d’héberger les réserves des deux banques centrales et de mener à bien leurs échanges avec le reste du monde » ? Question ô combien sensée !

Changer le régime de change. Si les experts sont unanimes à reconnaître qu’il n’existe pas de régime de change idéal, ils sont tout aussi nombreux à dire que celui fixe défini entre le CFA et l’euro n’est pas optimal et crée une rigidité contraignante pour les économies africaines concernées. Aussi, les alternatives vont d’un régime de change flexible sans garantie extérieure à l’arrimage à un panier de devises comprenant l’euro, le dollar, et pourquoi pas, le yuan. « Il reviendra aux dirigeants africains de choisir ». Mais un seul régime est à proscrire selon Jeuneafrique : le change flottant soumis aux seules lois du marché.

Ce sont là, les suggestions du journal. C’est à se demander ce que certains reprochaient à Kako Nubukpo qui, en précurseur, a à maintes reprises révélé tout ce dont parle le magazine panafricain.

L’ancien Directeur général du FMI parle désormais de dépoussiérage

Dominique Strauss- Kahn aurait-il reçu la visite d’un esprit saint ? Car les propos qu’il a tenus la semaine dernière tranchent avec ceux avancés en avril 2018 et qui lui ont valu les critiques ouvertes de Kako Nubukpo.

« Il est ici question du rattachement du franc CFA à l’euro. Le sujet devrait donc concerner l’ensemble des Européens, et pas seulement les Français », répond Strauss Kahn à la question de savoir ce qui l’a décidé à aborder la question du franc CFA. Il avoue que non seulement le fait d’être conseiller de certains chefs d’Etat africainsa joué un rôle, mais en plus du fait de l’intérêt qu’il dit avoir toujours porté à l’Afrique. Se voulant équilibriste, Strauss-Kahn pense qu’en même temps que ceux qui considèrent le franc CFA comme ayant nui aux Africains exagèrent, ceux qui estiment qu’il a joué un rôle formidable exagèrent également. Alassane Ouattara appréciera certainement moins la fin de la phrase.

Parlant de l’avenir de cette monnaie, l’ancien Directeur du FMI est assez clair. « L’important est désormais de se demander ce qui est le mieux pour l’avenir. Et ça, c’est avant tout aux Africains de le dire. Je pense que leurs responsables politiques et de nombreux économistes africains connaissent parfaitement le sujet. Mais je suis heureux de pouvoir contribuer à cette réflexion ».

Réunion avec les pays africains et la France, propose Strauss Kahn, mais dans le sens de la Françafrique. « Je pense qu’il faut sortir du non-dit. De la façon la plus calme, pacifique et constructive possible, les parties concernées –et la France, bien sûr, est concernée- doivent trouver la solution la plus avantageuse pour tout le monde. Le système actuel doit être sérieusement dépoussiéré, des rigidités doivent disparaître. Si l’on y parvient, le maintien d’une zone monétaire liée à l’euro présente, selon moi, de nombreux avantages… ».

Strauss-Kahn ne s’arrête pas en si bon chemin et pointe du doigt la parité fixe du CFA à l’euro, ce que Kako Nubukpo a de tout temps dénoncé. « C’est un régime de change qui, à long terme, crée une rigidité nullement profitable aux pays concernés. C’est si vrai qu’en 1994, il a fallu procéder à une dévaluation violente, parce que cette parité fixe ne pouvait être maintenue au niveau qui était le sien. Peut-être aurait-il mieux valu disposer d’un système plus souple permettant une évolution régulière de la parité…On pourrait très bien, et c’est l’évolution que je propose, faire en sorte que cette autonomie soit affrimée et fondée sur une coopération nouvelle », reconnaît-il.

Et si l’ancien Directeur Général du FMI reconverti en conseiller de chefs d’Etat en Afrique de l’ouest et centrale s’était fait le porte-parole de ces dirigeants trop frileux à aborder le sujet de la souveraineté monétaire ?

Qu’en pensent les pro CFA ?

Le 15 février 2019, le monde entier a assisté à la prestation du président ivoirien sur le péron de l’Elysée, au sortir d’un entretien avec Emmanuel Macron. Bien que les journalistes présents n’aient pas abordé le sujet, l’homme s’est tristement illustré. « J’ai entendu beaucoup de déclarations sur le franc CFA…Je ne comprends pas ce faux débat…Le franc CFA est notre monnaie, c’est la monnaie de pays qui l’ont librement choisi, depuis l’indépendance dans les années 60. Elle est solide, elle est appréciée, elle est bien gérée », avait-il tenté de faire accepter, mettant en avant son parcours sur un ton des plus condescendants : « Moi j’ai été Directeur des études de la Banque centrale de l’Afrique de l’ouest, qui émet le franc CFA, j’ai été Vice-gouverneur, j’ai été gouverneur de la BCEAO, j’ai été Directeur Général Adjoint du Fonds monétaire international, je crois qu’il faut que ce débat cesse ».

Et la réaction n’a pas tardé. Il faut effectivement que ce débat cesse, surtout depuis que Kako Nubukpo a demandé à Alassane Ouattara, de par son âge qui est assez proche de celui du franc CFA, de « prendre sa retraite », lui et cette monnaie.

Même Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Benin et candidat malheureux à la présidentielle de 2016, d’aller sur la piste du dirigeant ivoirien.

Une coordination pour les états généraux sur le franc CFA a été récemment mise en place dans le but de ne plus laisser les décisions qui engagent les quinze pays d’Afrique ayant cette monnaie en commun, se prendre ailleurs par des étrangers. Les jours et mois à venir promettent des surprises, à quelques mois des 60 ans d’indépendances en cascade de plusieurs Etats africains. L’un des verrous qui empêchent l’Afrique francophone de « mûrir », selon Nubukpo, sera-t-il enfin sauté ?

Godson K.

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