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Togo: Le GERDDES-Afrique en appelle à la sagesse de Faure Gnassingbé pour éviter le chaos


Le Groupe d’Etudes et de Recherches sur la Démocratie et le Développement Economique et Social (GERDDES-Afrique) fait des propositions pour une sortie de crise au Togo. L’Organisation panafricaine lance un appel à Faure Gnassingbé à un sursaut patriotique pour éviter le pire au Togo. 

Introduction

 Le 19 août 2017, le Togo a particulièrement marqué l’actualité sociopolitique en Afrique et dans le monde. Et pour cause, de violents affrontements survenus au cours d’une manifestation publique organisée à l’échelle nationale par le Parti National Panafricain (PNP). Au-delà du bilan matériel et humain déconcertant de cette journée, c’est tout le symbolisme qu’elle a porté dans l’histoire du pays qui a retenu l’attention de notre organisation. En effet, alors que, dans la sous-région, on pensait que le Togo avait définitivement tourné le dos aux manifestations violentes et que les autorités étaient engagées dans la consolidation d’institutions démocratiques fortes, conformément aux aspirations des togolais, la mobilisation à Lomé et dans les villes de l’intérieur du pays s’est avérée forte. Les Togolais, plusieurs fois désabusés, ont commencé par extérioriser leur mécontentement dans la rue. Cette mobilisation des partisans du PNP au départ, sera consolidée par plusieurs autres partis d’opposition regroupés au sein de la Coalition des 14 partis politiques d’opposition (C14). Plusieurs pays de la sous-région ouest africaine ainsi que les grandes villes d’Europe, d’Amérique et du Canada ont aussi été touchées. Pour faire revenir la paix et empêcher le pays de basculer dans l’instabilité, plusieurs initiatives de médiation ont été prises. Celle de la CEDEAO a fini par s’imposer.  Alors que le 31 juillet 2018, une Feuille de route a été signée à Lomé à la suite de la conférence des Chefs d’Etat et que les uns et les autres prévoyaient des bases d’un dénouement heureux, il semble que la crise est en train de s’enligner. En témoigne un processus électoral actuellement conduit de manière unilatérale par les autorités togolaises et marqué par des actes de violences et des décès. Cette situation a interpellé le GERDDES-Afrique. Dans un communiqué en date du 12 décembre 2018, notre organisation a déploré cette « initiative du Gouvernement togolais d’organiser des élections législatives le 20 décembre 2018 ». Notre organisation en a appelé « à la sagesse du Président Faure Gnassingbé de reconsidérer la situation dans l’intérêt du peuple togolais ». Le processus tel qu’il se déroule actuellement devrait être arrêté car il violerait le « principe du consensus et ne devrait bénéficier d’aucune légitimité ni interne ni internationale ».

 Comme beaucoup d’autres observateurs de la vie socio politique en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier, le GERDDES Afrique ressent chez les Togolais un profond malaise car ce pays reste le seul en Afrique de l’Ouest à n’avoir pas connu d’alternance depuis une cinquantaine d’années. Notre organisation voudrait, à travers cette contribution, rappeler les ressorts de la crise togolaise (I) et surtout formuler ses propositions de sortie de crise (II).

I. La crise togolaise, que comprendre ?

La crise togolaise, est à l’image d’un labyrinthe qui s’est construit grâce à un certain nombre de facteurs :

A. Une profonde crise de confiance

  1. Entre les différents acteurs de la classe politique

Les 27 dialogues infructueux qui se sont déroulés entre 1990 et 2018 n’ont laissé qu’une classe politique profondément traumatisée et dont les acteurs sont désormais incapables, à tort ou à raison de se faire un minimum de confiance pour faire avancer la situation. L’évaluation de la mise en œuvre de l’Accord Politique Global (APG) démontre que, même après l’adoption de mesures devant rétablir la confiance sous la conduite d’un médiateur, les discours changent au lendemain des signatures et les engagements pris ne sont pas tenus.

  • Entre les citoyens et les acteurs politiques

Le taux de participation aux élections présidentielles de 2010, 2015 et les législatives de 2013 ont révélé un désintérêt croissant de la population pour les élections à travers une forte abstention. Les citoyens font preuve d’une grande méfiance en ce qui concerne la capacité et la volonté des acteurs politiques à porter leurs préoccupations. Plusieurs expriment des doutes sur l’issue des manœuvres politiques, y compris la voie diplomatique empruntée par la CEDEAO pour permettre aux togolais d’accéder à cette alternance désirée par plus de 80% de la population selon un sondage Afrobaromètre. 

  • Entre les citoyens et les institutions de la République

L’administration, la justice, et toutes les institutions de la République ont une mauvaise réputation ; elles sont totalement verrouillées et à la solde du parti au pouvoir. Leur indépendance est mise à mal par l’orientation des décisions qu’elles rendent, presque toutes à l’avantage du parti au pouvoir et ses cadres. Une récente enquête menée par l’OCDE auprès des jeunes a révélé que plus de 65% d’entre eux ne se fiaient pas aux institutions de la république ; la même tendance est confirmée par les sondages Afrobaromètre 2018 sur la perception de la corruption.

B. Violations répétées des droits de l’Homme et culture de l’impunité

 La crise actuelle est caractérisée par des violations répétées des droits de l’Homme et une culture de l’impunité qui semble consacrées et promues par les autorités. La justice est à double vitesse. Elle assiste impuissante à la commission de graves atteintes à la vie et à l’intégrité physique des manifestants depuis plusieurs années. Depuis août 2017, plus de 25 Togolais ont perdu la vie lors des manifestations censées être pacifiques. Plusieurs cas d’arrestation ont été signalés parmi les militants de l’opposition, les leaders et membres d’organisations de la société civile alors qu’au même moment, des miliciens à la solde du pouvoir commettent, en toute impunité, des exactions au nez et à la barbe des forces de l’ordre. 

Dans le même temps, des restrictions sont apportées aux droits et libertés publiques de façon démesurée et ceci en violation des textes nationaux et internationaux sur la protection de la liberté d’expression, de réunion, de manifestation, etc. Dans certaines zones du pays, les manifestations sont interdites systématiquement alors que dans d’autres, des préfets et représentants de l’administration prennent des libertés avec les droits de l’Homme sans que le gouvernement togolais leur demande des comptes. Au contraire, certains auteurs de violation sont promus à des postes de responsabilités et décorés. 

Des vidéos récentes parvenues au GERDDES-Afrique ont circulé sur les réseaux sociaux montrant un véhicule visiblement appartenant au Chef d’Etat-major de l’Armée togolaise sur les lieux de manifestation et à bord duquel une arme à feu a été sortie ; cette scène s’est déroulée dans une zone où des Togolais, y compris un enfant mineur, ont été tués par balle. Cette situation est assez révélatrice du climat d’insécurité et du sentiment d’impunité qui prévalent dans certains milieux, y compris parmi les hauts responsables de l’Etat.

C. Un processus de justice transitionnel non abouti

Les recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation mis en place en févier 2009 pour l’instauration d’une société démocratique, notamment pour la limitation des mandats présidentiels n’ont pas été suivies. Seul le volet réparation au profit des victimes a été entamé par le Haut-commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN). Les présumés auteurs de violences politiques ne semblent toujours pas inquiétés par le processus. Le Major Kouloum Bilizim, cité comme l’un d’eux en 2005 par plusieurs rapports dont celui des Nations Unies a été décoré par le Chef de l’Etat en 2017. Les garanties de non répétitions restent de la théorie. Il est donc difficile pour les togolais d’appréhender les acquis de ce processus entamé depuis bientôt 10 ans.

D. Espoirs suscités par la Feuille de route de la CEDEAO

C’est dans ce contexte que la CEDEAO, avec sa Feuille de route du 31 juillet 2018 a suscité beaucoup d’espoirs qui se sont amenuisés au fur et à mesure des jours. En effet, certaines mesures préconisées tardent à être mise en œuvre jusqu’à ce jour. Il en est ainsi du professionnalisme dans le maintien de l’ordre et le non recours à la force face à des manifestations pacifiques, des mesures d’apaisement, du consensus pour la préparation et de la tenue des élections et surtout des réformes institutionnelles et constitutionnelles.

 Les autorités togolaises semblent faire preuve d’une volonté de mise en œuvre optionnelle, laissant de côté la question des réformes pour aller très vite à des élections avec une Commission électorale nationale indépendante incomplète. Plusieurs importantes réformes comme le découpage électoral sont ignorées alors même que la mission de l’Union européenne (UE), qui a observé les législatives du 14 octobre 2007, a demandé aux autorités de revoir cet aspect qui n’a pas été favorable à la représentativité du peuple lors dudit scrutin.

 Selon le rapport final de la mission d’observation de l’UE, « La proportion entre le vote populaire à l’échelle nationale et le nombre de sièges attribués n’est pas équilibrée. Ce déséquilibre est le résultat du système électoral adopté et surtout du découpage électoral ».

  1. Propositions de sortie de crise

 Pour le GERDDES-Afrique, la CEDEAO devrait renforcer son accompagnement aux acteurs togolais et s’assurer que le processus est mené de façon consensuelle. Dans ce sens, le GERDDES Afrique suggère les mesures suivantes :

  1. Suspension de processus électoral, avec recherche d’un consensus

C’est la piste choisie par la plupart des entités y compris certains partis politiques engagés dans la course au parlement. La Conférence Episcopale du Togo, les Eglises Presbytériennes et Méthodistes, les leaders de la société civile et les médias ont demandé aux autorités togolaises de suspendre le processus parce qu’il porte des germes de violence. Le GERDDES se joint à cet appel.

2. Adoption des mesures d’apaisement

Pour créer un climat de confiance, les autorités devraient, une fois pour de bon, libérer les détenus politiques encore dans les prisons et lever les interdictions de manifestations dans certains quartiers de Lomé et dans les villes à l’intérieur du pays ;

3.  Mise en œuvre des réformes institutionnelles

La crédibilité des élections dépend du cadre légal et des institutions qui les organisent. Conformément à la Feuille de route de la CEDEAO, une nouvelle constitution devrait être adoptée. A cet égard, le GERDDES-Afrique s’aligne derrière les propositions formulées aux acteurs togolais par l’expert de la CEDEAO mandaté à cet effet.

  • Effectivité des réformes électorales

Le découpage électoral actuel au Togo ne répond pas au principe un homme, une voix. Le GERDDES-Afrique suggère que des débats soient menés sur l’éventualité de l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel avec des listes nationales. Cette proposition aura l’avantage d’assurer la représentation nationale des députés mais surtout de permettre aux ténors des différents partis politiques de capitaliser leurs voix obtenues au niveau national et se faire représenter au futur parlement.

5. La présidence de la CENI

Les élections constituent une pomme de discorde entre les togolais. Au sein de la CENI, la proclamation des résultats a souvent donné lieu à des incidents, y compris devant les médias. Le GERDDES-Afrique suggère que la présidence de cette institution soit confiée à une personnalité indépendante. Cette expérience a d’ailleurs été faite par le passé dans certains pays comme la Guinée. 

6. La tenue des élections locales

Les togolais attendent des élections locales depuis plus de trente (30) années. Leurs tenues pourraient permettre, en même temps que les législatives, d’offrir l’opportunité à certains leaders politiques de l’opposition et de l’actuel parti au pouvoir, d’occuper des postes électifs, d’exercer des fonctions de responsabilité afin d’accélérer leur apprentissage de la gouvernance démocratique.

7. Mise en place d’un gouvernement de mission en vue d’organiser les élections législatives

Le retour de la confiance passe aussi par la mise sur pied d’un gouvernement qui inspire confiance aux togolais. Le GERDDES-Afrique souhaite à cet égard : 

– Qu’une trêve d’au moins un an soit observée par toutes les parties au Togo, ce qui implique la suspension de toutes manifestations, le retour des troupes dans les casernes et la libération de tous les détenus politiques et assimilés.

–  La mise en place d’un gouvernement de transition paritaire entre le pouvoir et l’opposition avec la participation de la société civile indépendante et de l’armée. – La transition aura pour but la gestion du pays sous l’égide du président actuel et du 1er ministre assisté d’un vice 1er ministre, et l’organisation des réformes et prochaines élections (référendaires, législatives et présidentielles). – Les nouvelles règles électorales n’excluront aucun candidat mais limiteront le nombre et la durée des mandats et seront placées sous la supervision et la certification des Nations Unies avec la participation de la société civile africaine et togolaise. – La sécurité de la transition et son bon fonctionnement seront placés sous l’égide des Nations Unies et de la CEDEAO qui auront au Togo une délégation permanente pendant la transition. – Tous autres détails de cette transition seront négociés par les parties.

8. Renforcement du Comité de suivi de la CEDEAO

Au regard de l’expérience passée, il importe que le Comité de suivi de la CEDEAO sur la crise togolaise se réunisse à intervalles plus réguliers et rende publique ses évaluations afin de permettre à toutes les parties prenantes et à l’opinion publique d’apprécier la mise en œuvre des mesures adoptées.

9. Adoption des sanctions en cas de non-respect de la Feuille de route 

Le GERDDES-Afrique suggère que des sanctions exemplaires soient prises à l’encontre de tous contrevenants aux mesures qui seront adoptées ; comme cela avait été le cas par le passé en Guinée Bissau notamment sous la présidence du Président Faure E. GNASSINGBE.

Le GERDDES-Afrique espère que sa contribution sera favorablement accueillie par les autorités togolaises et la CEDEAO afin que, Conformément au Protocole de la CEDEAO sur la bonne gouvernance et la démocratie, les principes et valeurs démocratiques ainsi que l’alternance au pouvoir puissent entrer définitivement dans les pratiques de l’espace ouest africain. Le GERDDES-Afrique remercie par avance les autorités togolaises et le peuple togolais pour leur indulgence vis-à-vis de ce rapport.

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