Editorial

La non-rétroactivité de la limitation de la durée du mandat politique : de l’arnaque juridique à « l’opportunisme » politique.  

 

Par LAWSON H. N’Sinto.

 

« Le « compteur à zéro » constitutionnel est un mépris pour la République et la démocratie ». La controverse sur la signification et la portée du principe de non-rétroactivité a refait surface avec l’annonce de la candidature des présidents ivoirien et guinéen. On pensait le débat achevé mais ces candidatures autorisent de revenir sur la vraie signification du principe, la non-rétroactivité des lois étant, semble-t-il, une pierre angulaire de tous les systèmes juridiques. La loi dispose pour l’avenir, prévoit l’entrée en vigueur, voire des mesures transitoires, afin d’éviter des conflits de lois dans le temps.

On trouve les premières traces du principe de non rétroactivité chez les grecs. En effet,  quatre siècles avant l’ère chrétienne, l’orateur Démosthènes y a fait invalider une loi qui annulait rétroactivement une condamnation judiciaire. La «règle de non-rétroactivité» qu’on énonça alors fut ajoutée au Corpus Juris Civilis, qui stipulait que les lois ne devaient recevoir d’application rétroactive que si elles étaient explicites à cet égard. Aujourd’hui, le concept de non-rétroactivité  est fort discuté, mais peu compris, dans la jurisprudence, dans la doctrine et de plus en plus dans les milieux politiques. L’ambiguïté sémantique du terme est telle que plusieurs explications doctrinales sont ou bien tendancieuses, ou bien carrément extrapolées.

Principe constitutionnel posé par en droit français par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme pour les seules lois répressives plus sévères. Il est annoncé également dans l’article 20 de la Constitution togolaise : « Nul ne peut être soumis à des mesures de contrôle ou de sûreté en dehors des cas prévus par la loi » avant d’être repris par le code pénal en vigueur au Togo en des termes ci-après : « Nul ne peut être frappé de sanctions pénales qui n’étaient pas prévues par la loi avant commission de l’infraction. Si la loi nouvelle est moins rigoureuse que l’ancienne, elle bénéficie aux auteurs d’infractions antérieures non encore jugées ». Le principe de non-rétroactivité apparait ainsi approprié et juste, puisqu’il
préserve la sécurité juridique et donne ainsi la possibilité et la sensation d’être protégé
vis-à-vis d’une loi qui pourrait être instable. Il est surtout un principe de prééminence du droit et un argument incontournable de l’effectivité d’un procès équitable.

L’histoire constitutionnelle a révélé que l’alternance politique est une exigence républicaine admise et maintenue dans les  démocrates dites avancées. La question de la durée du mandat du chef de l’Etat semble devoir être guidée d’avantage par des considérations politiques plutôt que par des arguments juridiques. Lorsqu’il n’existe pas de fondement juridique solide et incontesté à une cause politique, il vaut mieux s’abstenir de fouiner dans les principes. Car le repli intéressé sur quelques dispositions juridiques étrangères à la cause défendue, peut se révéler politiquement et socialement traumatisant.

Recourir au principe de la non-rétroactivité pour défendre une nouvelle candidature  d’un président qui a déjà effectué plus de deux mandats est simplement une tromperie, une hypercherie juridique évidente, sinon un « dol politico-juridique ». L’histoire du droit et des institutions montre à satiété que la non-rétroactivité est, à l’origine, adoptée et mise en œuvre  essentiellement en droit pénal et de façon très résiduelle dans les autres branches du droit. S’y référer pour justifier le « compteur à zéro » constitutionnel, constitue une extrapolation voire un passage en force.

S’il apparait que le principe sert surtout à protéger le citoyen pendant un procès pénal. Comment est-il devenu un principe général de droit et convoqué par certains juristes constitutionnalistes pour justifier la nième candidature des présidents de la république…

La limitation du nombre de mandats politique a pour corollaire  la rotation des postes, c’est-à-dire l’obligation pour le détenteur d’un poste de le quitter après une certaine période. Il a été pratiqué dans les vieilles démocraties et même dans les démocraties antiques. A Athènes, la plupart des fonctions « publiques » étaient confiées à des citoyens tirés au sort pour un mandat d’un an renouvelable. Il s’agit donc d’éviter que par l’usure, le gouvernant se laisse corrompre ou devienne corrompu, une sorte de séparation de pouvoirs mais dans une perspective temporelle. C’est donc protéger la République, la res publica, contre les faiblesses humaines. Dès lors, il parait inopportun de lutter contre la limitation du nombre de mandats politiques, et même inapproprié de résister  contre une telle initiative en arguant du principe de la non-rétroactivité. La non-rétroactivité vise un objectif précis. Celui de garantir un procès équitable à tout citoyen. Reste à savoir si le principe peut être sérieusement convoqué en matière de droits politiques et surtout pour remettre en cause le principe de l’alternance politique.

L’adoption du  XXIIe amendement de la Constitution des États-Unis limitant à deux le nombre de mandats que peut exercer le président des États-Unis qu’ils soient consécutifs ou non, illustre bien cette préoccupation inhérente à toute démocratie durable. On sait que la Constitution originaire ne contenait aucune disposition limitant les possibilités de réélection d’un Président. Mais on sait également que George Washington, triomphalement élu en 1788 et réélu en 1792, refusa en 1796 de se porter à nouveau candidat, motivant son refus par le danger que présenterait pour les institutions républicaines la permanence d’un homme dans les fonctions, déjà très importantes à l’époque, de Président. Et l’on sait enfin que ce refus, venant du premier Président, d’un homme aussi prestigieux que Washington, et justifié par de telles raisons, fit considérer comme une règle constitutionnelle non écrite l’impossibilité pour le Président d’être réélu plus de deux fois. Et toute excuse avancée pour passer outre cette règle constitutionnelle ne peut s’analyser qu’en une instrumentalisation politique grossière et dangereuse.

L’instrumentalisation du droit et précisément de la Constitution a toujours été une inquiétude pour les structures et organisations protectrices des droits et libertés fondamentaux. Elle pose la question du respect et de l’attachement aux valeurs républicaines, et constitue une véritable menace aux droits et libertés politiques.

Le « compteur à zéro » constitutionnel se révèle ainsi être une arnaque, une démarche politicienne inquiétante. « Il est à noter que le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels apparaît, depuis les années 1990, comme relevant des temps modernes, en Afrique, et comme participant du nouveau constitutionnalisme africain. C’est dans cet esprit que l’opposition togolaise insistait, ces dernières années, pour voir inscrire dans la Constitution qu’ « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels », et qu’au Burkina Faso, le projet de Constitution prévoit que nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels « de façon continue ou discontinue ».

Ce dont il s’agit, c’est d’arrêter de célébrer Machiavel et de faire obéissance absolue à Montesquieu.

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