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De graves maux dans la passation de commande publique au Togo : L’Ordre national des ingénieurs du Togo sans langue de bois

Elle était prévue de longue date. Jeudi 18 novembre 2021, les acteurs de la commande publique se sont retrouvés pour se dire certaines vérités notamment l’Ordre national des ingénieurs du Togo (ONIT) qui a mis en lumière les maux qui lestent le secteur des marchés publics au Togo.

Les infrastructures coûtent à tout pays, mais constituent un passage obligé pour aller vers le développement. Selon Aftar Morou Touré, Directeur général de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), les investissements dans le secteur se réalisent via les dons, les prêts et les impôts. Malheureusement, le constat établi renseigne qu’on assiste à un gaspillage des fonds publics. Mais comment optimiser les ressources lorsque les projets de développement sont mal exécutés et que les délais d’exécution sont rallongés, avec à la clé, l’augmentation des coûts ? Le Directeur général déplore la conséquence directe qui découle de ce qui précède et qui impacte directement la vie des populations.

Aftar Touré a d’abord déroulé les missions de l’ARMP dont l’élaboration de la réglementation dans la commande publique, le règlement des différends, la formation et l’appui technique, sans omettre l’audit des marchés. La Direction nationale de contrôle des marchés publics (DNCMP) n’est pas restée en marge de la présentation. Validation des plans de passation des marchés, apposition des ANO (avis de non objection), dérogations et autorisations.

Le 2ème point concerne les statistiques de 2012 à 2021 en matière de recours introduits par les entreprises non satisfaites, de décisions rendues, de dénonciations, de montants annuels des marchés passés, et selon les types de marchés (travaux, services ou autres).

Le dernier point a trait aux dysfonctionnements. Dans ce registre, les griefs sont pluriels et multiformes : prise en compte de certains dossiers malgré le caractère incomplet de certaines offres ; réticence des soumissionnaires à s’acquitter des quote parts des dossiers d’appels d’offres à l’ARMP; des autorités contractantes sont connues pour ne consulter que certaines entreprises ; survenue de changements dans les procédures de la commande publique sans respect des règles ; mauvaise appréciation des délais d’exécution résultant de l’immaturité des projets, etc.

Les opérateurs économiques sont également passés sous la sulfateuse du Directeur général. Outre la redevance qui est difficilement payée, il y a surtout la production de faux documents, le non respect des clauses et des délais. Des entreprises seniors se substituent aux jeunes pour postuler aux 25% d’appels d’offres réservés aux plus jeunes entreprises.

  1. Aftar Touré a fait état des innovations en cours afin d’assainir le secteur de la commande publique et raccourcir les délais d’évaluation qui impactent fortement sur la réalisation.

Et ce fut le tour de Marius Bagny, représentant l’ONIT de dire tout haut ce que nombre de ses collègues pensent tout bas depuis des lustres de la commande publique.

En arriver à comparer l’ONIT à « un enfant dont la mère est décédée et qui est confié à sa marâtre » dépeint à n’en point douter l’état d’abandon et de tribulation dans lequel se trouve l’ordre des ingénieurs. Et pourtant, si les infrastructures arrivent à résister aux forces de la nature et à conférer aux pays des allures de citées développées, c’est en partie grâce à l’expertise des ingénieurs. Mais pourquoi ce corps fait-il face à autant de problèmes ?

Si la transparence dont s’efforce de faire preuve le comité de règlement des différends (CRD) dans ses décisions, suite à des recours doit s’étendre à toutes les étapes de la commande publique, il urge que les autorités trouvent des solutions aux maux qui minent le secteur. Parce que M. Bagny a fait référence à Jean-Marc Peyrical qui disait : « Évoquer la transparence dans les marchés publics peut apparaître paradoxal, voire iconoclaste. Pour beaucoup de nos concitoyens, les marchés publics sont en effet synonymes d’obscurité, d’un univers de fraude et de favoritisme, où se déroulent nombre de tractations secrètes entre acheteurs publics et entreprises » ; ceci pour que chacun prenne la mesure du mal.

Les constats de l’ONIT

L’ONIT semble s’être approprié la déduction selon laquelle l’attribution systématique au « moins disant » ouvre la porte sur des conséquences négatives récurrentes telles l’inexécution des marchés, l’abandon et/ou la mauvaise qualité des travaux, etc., ce qui implique un gaspillage des deniers publics constitués par les impôts des contribuables.

Côté statistiques, il ressort qu’en 2018, le CRD a rendu 73 décisions, 65 en 2019 et 61 en 2020. Au 15/11/2021, il y a déjà 91 décisions, ce qui, pour l’ONIT, démontre une dynamique d’insatisfaction et de contestation des résultats des appels d’offres et par-delà du système de passation des marchés publics au Togo.

Dossiers d’appels d’offre & Soumissions

  1. Exagération dans la fixation des critères de qualifications : chiffre d’affaire moyen des 03 dernières années supérieur ou égal à 1 fois, 1,5 voire 2 fois le montant de l’offre.
  2. Cadre de devis mal libellé : manque d’expérience ou d’expertise de certains AC sur certains types de travaux.
  3. Dossiers taillés sur mesure : contenu, montant d’achat, garantie de soumission, critères de qualification, délai de soumission.
  4. Mercuriale des prix inadaptée et incohérente : la version actualisée 2021 montre un seul prix de référence sur toute l’étendue du territoire national, alors que le prix du gravier, sable et latérite par exemple est variable d’une zone à l’autre.
  5. Taux de remise fantaisistes, compromettant parfois les sous-détails des prix, mais malheureusement tolérés par les AC (autorités contractantes), la DNCMP et l’ARMP.
  6. Délais d’exécution ne tenant pas compte de la nature et de la consistance, de l’accessibilité de la zone et de la spécificité des travaux.

Evaluation des offres et attribution

  1. Analyses portant sur la forme (pièces administratives, personnel technique, critères de CA) et presque jamais sur le fond et les aspects techniques.
  2. Ajustements de prix et corrections fantaisistes frisant le ridicule.
  3. Incohérence dans les critères d’évaluation.
  4. Attribution jusqu’à 50% de la valeur de l’enveloppe prévisionnelle qui pourtant est supposée avoir été établie par des ingénieurs ou des architectes.
  5. Cautionnement des offres anormalement basses par la DNCMP.
  6. Délai d’attribution parfois extrêmement longs et sans raisons valables.

Conditions d’exécution des travaux

  1. Absence de mission de contrôle professionnels sur certains marchés qui pourtant le nécessitent : le personnel de l’AC réellement affecté sur le site, n’a souvent pas le niveau, ni les compétences, ni l’expérience requis pour tout suivre et contrôler en permanence.
  2. Manque de responsabilité des bureaux de contrôle (Assurances).
  3. Existence des faux frais surtout élevés pour la prise en charge des commissions de réception des travaux (source de chantage et de racket avant signature des PV de réception).
  4. Gestion quelques fois difficiles des relations avec la mission de contrôle.

Organes de contrôle & régulation

  1. Difficulté d’accès à la DNCMP pour apporter des propositions et contributions tendant à l’amélioration du cadre d’exécution des marchés publics;
  2. Les entreprises ne sont pas rassurées pour engager des recours, par peur des frais afférents, mais surtout par peur des représailles ;
  3. Authentifications des diplômes des ingénieurs étrangers et des CA et qualification des entreprises étrangères;
  4. Absence d’audits réguliers de l’exécution des marchés (dernier rapport sur le site de l’ARMP porte sur l’année 2016).
  5. Absence de cadre d’échanges entre la DNCMP, l’ARMP et les entreprises.
  6. Inexistence de classification des entreprises.

Relations avec les établissements financiers

  1. Rejet des garanties de soumission des méso finances;
  2. Défaut de cohérence ou duperie des institutions financières, qui après avoir délivré des garanties de soumission et attestations de capacité financière, refusent d’accompagner les entreprises lorsqu’elles deviennent attributaires.

Propositions d’amélioration

A l’endroit de l’ARMP…

  1. Etudier la possibilité de ramener la condition de qualification en CA (chiffre d’affaire) à 0,3 fois le montant de l’offre;
  2. Faire recours à des bureaux d’étude spécialisés pour la rédaction des cadres de devis techniques;
  3. Concernant le personnel ingénieur, inscrire dans les DAO : « ingénieur régulièrement inscrit à l’ONIT » et demander une attestation de membre de l’ONIT datant de moins de trois (03) mois;
  4. Etudier la possibilité de réduire les frais d’enregistrement des marchés, en comparaison avec ce qui se fait dans la zone UEMOA. En diminuant le taux, l’ARMP pourra corser les pénalités pour les retards d’enregistrement.
  5. Associer l’ONIT lors de l’étude des recours sur les AO lorsqu’il s’agit de travaux d’ingénierie et lorsque le personnel (ingénieurs) est concerné. Le premier niveau de vérification doit être l’Ordre.
  6. Subventionner l’ONIT pour la vérification des demandes d’adhésion (processus actuellement en cours);
  7. Subventionner l’ONIT pour l’organisation des séminaires de sensibilisation et de renforcement des capacités pour la responsabilité et l’éthique dans l’exercice de leur métier.
  8. Publication des chiffres d’affaires et des déclarations sociales des entreprises

Concernant la Mercuriale des prix

  1. Etablir la mercuriale des prix par des commissions mixtes composées de l’administration et des professionnels spécialistes de chaque secteur, avec une périodicité de révision annuelle ou triannuelle.
  2. Chaque poste de la mercuriale présentera un prix minimum, un prix moyen et un prix maximum en hors taxes (confère mercuriale Burkina Faso 2020).
  3. Eliminer les taux de remise qui dépassent 5% : soit le soumissionnaire a bien fait son prix, soit il ne sait pas ce qu’il fait. Il faut être professionnel.

Godson K.

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