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Industries extractives et ristournes aux communautés/Société WACEM : des ristournes fantaisistes sur la base de faux chiffres d’affaires

Combien d’entreprises minières déclarent leurs vrais chiffres d’affaires à l’Etat togolais ? Et combien parmi elles s’acquittent régulièrement et effectivement de leurs contributions au développement local et régional ? La situation que vit la localité de Tabligbo laisse penser que, soit la société minière installée dans la zone fait exprès de ne pas respecter le décret présidentiel n°2017-023 du 25 février 2017, ou alors cette société disposerait de passe-droits pour donner des ristournes selon ses humeurs, et après avoir graissé la patte au sein de l’administration.

Les communautés minières sont-elles condamnées à faire prospérer des sociétés tout en s’appauvrissant ? L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) au Togo, et les autorités togolaises ont pris conscience de cette situation et prévu des dispositions devant permettre auxdites communautés de tirer profit des affaires que réalisent les sociétés minières.

C’est ainsi qu’une loi n°2011-008 relative à la contribution des entreprises minières au développement local et régional a été adoptée par l’Assemblée nationale le 5 mai 2011. Mais il a fallu attendre 2017 et le 25 février pour que le décret n°2017-023 portant détermination des modalités d’application de la loi n°2011-008, soit pris.

Dans son article 2, il a été expliqué que « la contribution consiste en une participation financière et en la réalisation d’œuvres socio-économiques et communautaires par l’exploitant dans la préfecture concernée par l’exploitation ».

L’article 3 dispose : « Conformément à l’article 2 de la loi n°2011-008 du 5 mai précité, la participation financière est annuelle ». Mais à quelle hauteur les sociétés extractives doivent-elles contribuer ? « La contribution financière est fixée, pour les exploitations à grande échelle, les exploitations à petite échelle et les exploitations des matériaux de construction à 0,75% du chiffre d’affaires annuel », précise l’article 4.

Des entreprises pouvant ruser avec les textes sur le délai à elles imparti pour s’acquitter de cette obligation, l’article 5 précise que « le montant ainsi défini est versé par les entreprises minières dans un compte ouvert dans les livres du Trésor public, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant l’exercice concerné ». Voilà planté le décor. Ce qui veut dire qu’au plus tard le 31 janvier 2018, le premier versement devrait tomber. Sauf que des entreprises dont WACEM feront ce qui bon leur semble.

Depuis la mise en place du Comité tripartite de gestion des ristournes à verser par la société Wacem, seulement trois versements ont été enregistrés : les contributions, 2019, 2020 et 2021. Aucune trace de celui de 2018.

Ainsi, il a été déposé sur le compte n°1082 affecté à cet effet les montants respectifs de 2019, soit 40.384.120 FCFA, 40 993 461 FCFA au titre de la contribution de 2020 et 38.301.471 FCFA pour l’année 2021. Sans que le Comité ne sache sur la base de quels chiffres d’affaires ces ristournes ont été déduites.

Or, c’est en comptant sur des chiffres conséquents que le comité a établi un chronogramme de réalisation d’infrastructures sociocommunautaires. Mais grande fut leur déception. Seulement, certains étaient décidés à creuser et trouver les chiffres d’affaires de Wacem, vu que ni le ministère de tutelle, ni le Trésor public ne semblaient surpris par la valeur des ristournes. La suite donnera raison au Comité de gestion.

Les ristournes ne correspondent pas aux chiffres d’affaires réalisés par Wacem

Dans un courrier adressé par le Comité tripartie de gestion à la ministre Déléguée auprès du Président de la République le 31 mars 2022, des révélations sont apparues et qui rebattent les cartes en ce qui concerne les deux premières ristournes.

« … Ne pouvant pas rester les bras croisés pour ce qui est de la réalisation des projets exprimés par les communautés, en attendant de retrouver les chiffres d’affaires,  le comité a entamé la construction des bâtiments scolaires des lycées de KiniKondji et de Tabligbo. En effet, ce n’est qu’en 2022 que le comité a pris connaissance des chiffres d’affaires de 2019 qui est de 33.449.374.668 (qui donnent 250.870.310 FCFA au lieu de 40.384.120 préalablement reçus sur le compte 1082 au trésor public), en même que celui de 2018 qui est de 34.291.097.595 Francs (qui donnent 257.183.250 francs CFA) contre 0 francs reçus sur notre compte 1082 au trésor public. Notons au passage que pour le compte de 2020 nous avons reçu 40.993.461 (quarante millions neuf cent quatre-vingt-treize mille quatre cent soixante et un) francs CFA sur notre compte au trésor public sans le chiffre d’affaires. En résumé, notons que depuis son installation le Comité n’a reçu que 40.384.120 F contre 508.053.542 francs pour 2018 et 2019 et 40.993.461 FCFA pour 2020  dont le chiffre d’affaires n’est pas encore connu jusqu’à ce jour… », lit-on dans le courrier dont nous nous sommes procuré copie.

Les 38 301 471 FCFA déposés au titre de 2021 ne sont pas non plus assis sur des données tangibles du chiffre d’affaires de l’année concernée.

Pourquoi la ministre Déléguée ne réagit-elle pas?

Au vu du courrier adressé à la ministre Mila Aziablé, il se trouve donc qu’en 2018, Wacem a réalisé un chiffre d’affaires de 34.291.097.595 FCFA, mais n’a rien reversé aux populations de Tabligbo. En 2019, c’est environ 40,384 millions reversés alors que ce devrait être 250,870 millions FCFA. Dame Mila Aziablé l’ignorerait-elle ?

Pour le versement des ristournes de 2020, c’est 40,993 millions au lieu d’un pourcentage de 0,75% sur un chiffre d’affaires proche de ceux des années antérieures. Et celles de 2021 répondent au même impératif de transparence.

Devant pareilles incongruités, de deux choses l’une : ou bien la ministre Déléguée a fermé les yeux sur les ristournes bizarres versées par Wacem, contre on ne sait quoi, ou bien alors, c’est Wacem qui lui aurait menti. Mais même dans ce cas, le courrier du Comité de gestion devrait la réveiller de sa torpeur. A moins qu’elle ne se considère pas comme ministre, et donc comme « serviteur du peuple ».

Obligation aux entreprises extractives de rendre publics les chiffres d’affaires

Si hier, les sociétés extractives avaient la latitude de faire planer l’omerta sur leurs chiffres d’affaires, le décret fixant le taux de leurs contributions au développement local et régional doit faire changer la donne. Parce que, pour qu’une communauté et son comité de gestion des ristournes arrivent à vérifier l’exactitude de ces ristournes, ils doivent disposer des chiffres d’affaires. Et l’ITIE-Togo et le ministère de tutelle devraient jouer leur rôle de pression et de plaidoyer pour que ce soit chose faite dès le premier mois de chaque année. La transparence dans les industries extractives passe aussi par là.

En rappel, la société Wacem dont la date de convention d’investissement a été signée le 22 mars 2000, a bénéficié par exemple en 2018 d’avantages fiscaux au titre de l’année 2018 à hauteur de 833.959.890 FCFA, selon le rapport de conciliation publié par l’ITIE-Togo.

Godson K.

 

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