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Déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités : Comment convaincre les citoyens de la sincérité des déclarations sans publication ?

Depuis le 25 octobre 2021, le Médiateur de la République, après sa prestation de serment, a été renvoyé à ses fonctions. Désormais, la voie semble pavée pour Awa Nana de recevoir les déclarations des biens et avoirs des hautes personnalités et autres fonctionnaires de l’Etat. Mais reste à savoir si la simple déclaration à la prise de fonction et à la fin du mandat de l’assujetti suffira à lutter contre la corruption comme professé.

Depuis lundi 25 octobre, Awa Nana Daboya a désormais les pleins pouvoirs de Médiateur de la République. Une fois sa propre déclaration des biens et avoirs faite, ce sera le tour de tous les assujettis.

Dans ses attributions, deux piliers sont concernés : veiller à l’amélioration des rapports entre les administrés et l’administration en général, juger de la défense des droits des administrés via leurs réclamations, et permettre la participation de ceux-ci au processus décisionnel de l’administration. Le second pilier a trait à la réception de la déclaration des biens et avoirs des hautes personnalités et autres assujettis conformément à l’article 145 de la Constitution et définie par la loi organique n°2020-003 du 24 janvier 2020 modifiée par la loi organique n°2021-13 du 1er juillet 2021.

Si on s’en tient aux propos tenus par le Médiateur de la République, le but de la déclaration des biens est de « promouvoir la transparence dans l’exercice des fonctions et charges publiques qui incombent aux assujettis et de prévenir l’enrichissement illicite, notamment chez les autres personnalités et hauts fonctionnaires de l’Etat ». Et Awa Nana Daboya estime qu’il est de leur responsabilité de s’y engager sans faille, « afin d’accompagner de la manière la plus juste les méthodes de gouvernance en matière de gestion des ressources de l’Etat ».

Pour faire court, les fonctions de Médiateur de la République commandent de changer de cap et de faire en sorte que, par les faits et gestes, les citoyens soient plus satisfaits de la manière dont ils sont gouvernés. Mais ces vœux de bonnes intentions ne souffrent-ils pas d’insuffisances ?

Le plancher des déclarations porté de 200.000 à 20 et 50 millions FCFA

Déjà au niveau des biens et avoirs à déclarer, on relève que si la première loi organique en son article 9 a disposé : « Sont obligatoirement déclarés les biens et avoirs d’une valeur supérieure à 200.000 FCFA », la loi n°2021-13 du 1er juillet 2021 a fait un croc-en-jambe à sa génitrice en étant reformulée comme suit : « Les biens et avoirs sont obligatoirement déclarés. Le déclarant dresse la liste des biens et avoirs lui appartenant au Togo et à l’étranger dans laquelle il fait figurer l’origine de la propriété, le prix d’acquisition, les références d’identification, le régime de propriété, notamment bien propre ou commun, indivis ou non, ainsi que la localisation, la superficie, l’immatriculation lorsque cela est applicable…Les montants à partir desquels sont déclarés les biens immobiliers divers et les espèces sont définis par décret en conseil des ministres… ».

Le Médiateur de la République a été plus précis à propos de cet article. C’est ainsi qu’on apprend que désormais, il y aura deux types d’assujettis : les grands dont la valeur des biens à déclarer devra être à partir de 50 millions, et les moindres assujettis qui sont tenus de déclarer des biens dont la valeur dépasse 20 millions FCFA. Mais parmi le lot d’assujettis, où commencent les grands et à partir de quel critère on peut se considérer comme moindre assujetti ? Mystère sur la question. La seule chose qui importe, le plancher de déclaration a été multiplié par 100 pour les moindres et par 249 pour les grands assujettis.

Omerta sur tous les biens et avoir déclarés, même ceux du premier magistrat

En novembre 2016, Patrice Talon a déclaré ses biens et avoirs. La terre n’a jamais cessé de tourner. Bien que ses biens n’aient pas été rendus publics, le magazine Forbes avait évalué les possessions de Patrice Talon.

Plus tôt en décembre 2015, Marc Christian Kaboré a déclaré et rendu publique sa déclaration des biens; le soleil n’a pas cessé de se lever à l’est pour se coucher à l’ouest. Depuis, même s’il n’aurait pas tout déclaré, on attend toujours des preuves contraires. Autrement, les Burkinabé s’en tiennent à ce qu’il a déclaré.

Au Togo, la déclaration est secrète. Mais ce faisant, comment les lanceurs d’alerte pourront-ils savoir ce qui a été déclaré et dénoncer des situations dont ils auraient connaissance ? Lorsqu’on y regarde de près, interdire la divulgation ou la consultation des biens et avoirs déclarés donne l’impression que les hautes personnalités et hauts fonctionnaires de l’Etat auraient des choses à cacher et qui feraient désordre si elles venaient à se savoir.

Si lutte véritable contre la corruption il doit y avoir, le Médiateur de la République et la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) gagneraient à faire revoir le texte de loi. Parce que d’une part, lorsqu’un assujetti omet de déclarer des biens lui appartenant, les citoyens ne peuvent jamais savoir ce qu’il a déclaré ; et le secret qui entoure cette déclaration ne peut profiter qu’à l’assujetti.

Mais au cas où la déclaration est connue au moins des hommes de média, une information faisant état d’un bien non déclaré pourrait venir d’une dénonciation anonyme et permettre au Médiateur et à la HAPLUCIA de mener des investigations quant à la véracité ou non de la dénonciation. Absoudre les assujettis de la publication ne peut que constituer un ferment nouveau à la prolifération du fléau contre lequel les autorités disent vouloir lutter.

Dans le cadre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, la tendance va vers la divulgation des propriétaires réels qui se sont longtemps restés dans l’ombre, et celle des contrats et des licences sur lesquels l’omerta a trop longtemps plané. Il n’y a pas de raison qu’à l’heure de la transparence dans les finances publiques –à moins que celle-ci ne soit qu’un leurre-, on fasse encore et toujours la fine bouche. Comme si les biens et avoirs de nos chères autorités étaient sujets à caution ! Autrement, c’est de la même manière qu’on fera croire aux citoyens que tel ministre ou tel directeur général s’est sacrifié au rituel de la déclaration à la fin de son mandat. Alors qu’il n’en serait rien. Des preuves des déclarations pour juger, rien d’autre.

Godson K.

 

 

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