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Essozimna Atcholé, président de la CTE : « Nous sommes dans une gouvernance de leurre »

Essozimna Atcholé ne mâche pas ses mots. Dans l’interview ci-dessous, le président de la Conférence des Togolais de l’Etranger (CTE) dénonce les détentions politiques, la mauvaise gouvernance du pays et la crise politique amplifiée par l’élection présidentielle du 22 février 2020. M. Atcholé s’indigne de la manipulation de la question ethnique à des fins politiques par le RPT/UNIR. Pour lui, « nous sommes dans une gouvernance de leurre ». Lire l’interview.

Bonjour M. Essozimna Atcholé. Comment se portent les Togolais de l’Etranger?

Merci chers journalistes pour votre travail et votre engagement qui permettent aujourd’hui aux Togolais de l’Etranger de se prononcer sur la situation sociopolitique et économique du Togo depuis une année.  Je prends la mesure des conséquences qui pourront découler de cette interview, mais je voudrais aussi rassurer les uns et les autres que loin de vouloir être arrogant, mon objectif est plutôt de dire haut, ce qu’une grande partie de Togolais pensent bas. Quels que soient les menaces, intimidations, dénigrements et montages qui en résulteront comme il est de coutume après chacune de mes sorties, je pense qu’il est impératif d’adopter un franc-parler. La seule arme qu’il reste aux Togolais de nos jours, c’est la parole. Alors nous l’utiliserons pour le combat de la libération du peuple.

C’est aussi l’occasion pour nous de penser à toutes les victimes du 22 février 2020. Avant, pendant et après cette échéance électorale, un clan de Togolais a, comme à son habitude, senti le besoin de chasser, écarter, piétiner voire assassiner plusieurs de nos compatriotes pour conserver le pouvoir ainsi que tous les privilèges qu’ils se sont arrogés depuis des décennies. Nos pensées vont droit à ces compatriotes.

Les Togolais de l’Etranger se portent bien. Dans un contexte socioéconomique très éprouvé par la crise que nous connaissons tous, les Togolais de l’étranger gardent la même hargne du travail et l’amour pour la patrie. Nous puisons notre force et notre énergie de tous les jours dans la satisfaction d’apporter notre petite pierre au bien-être de nos frères, sœurs, enfants, parents et communautés respectives au pays.

En décembre 2020 M. Christian Trimua a déclaré qu’il n’existait aucun détenu politique. De quels prisonniers parlez-vous ?

Le travail d’un consortium de la société civile togolaise a révélé plus d’une centaine de cas. Nous citons en exemple le dossier des 76 personnes arrêtées et détenues dans l’affaire « Tiger Révolution » dont 5 personnes décédées en détention ; 4 personnes actuellement malades et détenues au Cabanon du CHU Sylvanus Olympio et 67 encore en détention selon les organisations de la société civile. Nous pouvons multiplier les exemples. Nous déplorons l’existence des ces choses qui donnent raison de dire que nous sommes sous un régime de tyran au Togo. Nous partageons l’amertume et la désolation des victimes et de leurs familles.

Un an après la présidentielle du 22 février 2020. Peut-on dire que le calme est revenu après l’avis de tempête?

Il s’agit d’un calme militarisé et précaire comme les Togolais en ont l’habitude. Un calme obtenu grâce à l’interdiction systématique de toute forme de contestation électorale et la chasse aux sorcières qui a engendré le départ en exil de M. Agbéyomé KODJO. Après chaque hold-up électoral depuis 2005, c’est avec les armes qu’on fait régner le calme. Il n’y a aucune fiabilité à parler de paix dans ces conditions.

Au Togo, les accidents de route tuent à longueur de journée sur des routes approximatives et dangereuses, les braquages sont légion, les meurtres les plus macabres sont orchestrés et le comble, c’est qu’il n’y a jamais de coupable dans la plupart des cas. On compte des Togolais parmi les naufragés des vagues de migrations clandestines, des camps de réfugiés de Chereponi au Ghana voisin etc. Le chômage est tellement gênant que le régime est obligé de manipuler les chiffres, nos bébés naissent à même le sol dans les hôpitaux, et les services d’urgences de nos vieux centres hospitaliers sont vides d’équipements et de personnels pendant que gisent dans la cour du CHU de Lomé des malades sans aucun appui social etc. La sécurité sociale qui relève du devoir régalien de l’Etat est monnayée contre des votes. Si tu n’as pas de carte d’électeur, tu ne bénéficies pas de l’aide de l’Etat en période de Covid-19. Alors, dites-moi clairement pourquoi le Togo devrait se revendiquer comme un pays de paix?  C’est nauséabond !

Selon les Togolais de l’Etranger, le Dr. Agbéyomé Kodjo aurait-il donc remporté l’élection présidentielle 2020?

Il existe un doute raisonnable sur la crédibilité des institutions chargées d’organisation et de proclamation des élections au Togo. Nous, Togolais de l’Etranger, ne saurons faire ce genre d’affirmation gratuite. Néanmoins, plusieurs constats sont révélateurs :

Après le scrutin, des observateurs sérieux comme les USA, l’Eglise Catholique, la Société Civile Togolaise, l’opposition crédible etc. ont porté une réserve sérieuse quant à la transparence du processus et des résultats, exigeant la proclamation et la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote selon les textes électoraux du pays. La réponse du régime fut par des invectives, la diplomatie dissuasive et la chasse aux sorcières. Le pouvoir aurait même poussé les limites jusqu’à fabriquer des lettres de félicitations de la France et de l’Union européenne. A ce point, quelle crédibilité pour les institutions de la République Togolaise ?

Mais le pays avance. Après trois mandats, les indicateurs sont bons, le pays est totalement en chantier et les relations avec les partenaires au développement n’ont jamais été aussi paisibles. On ne peut pas passer outre ce bilan positif.

De quelles avancées parlons-nous cher journaliste?

Une nouvelle (petite) aérogare? Sinon, elle a quelle capacité, combien de voyageurs le Togo draine-t-il par an par rapport aux pays voisins qui ont connu l’alternance depuis toutes ces années, combien a couté la construction de cette infrastructure, combien cela rapporte au budget de l’Etat? Qu’est-ce que le seul aéroport international fonctionnel du Togo a de mieux qu’un des 3 principaux aéroports du Niger (pays sahélien), de la Côte d’Ivoire, du Ghana etc. ? Voilà comment les citoyens analysent les choses.

S’il faut aller dans votre logique, celui qui a fait construire les plus grands barrages hydroélectriques d’Europe, celui qui a fait construire les plus grands ponts des USA etc. toutes ces personnes seraient restées au pouvoir à vie ? Ou alors, JJ Rawlings n’aurait passé le fauteuil présidentiel au Ghana qu’après sa mort en 2020 sous prétexte qu’il aurait encore des réformes à mener ?

Aujourd’hui, l’une des villes les plus misérables du Togo et de la sous-région, reste la ville d’origine de Faure Gnassingbé. Je parle de la ville de Kara. Tout a été fait pour y maintenir les familles et la jeunesse dans la précarité totale: seule une industrie à bière y fait sensation avec de l’alcool à profusion. Faites-y un tour et vous sentirez l’odeur de la désolation et du désespoir. Aucun pôle concret d’emploi n’y retient les jeunes. Les rares qui y restent, le font pour le coût relativement faible de la vie, propice aux études. Après ça, ils désertent la ville parce qu’il n’y a aucun secteur sérieux d’emploi. Pourtant, les barons de la région investissent dans l’importation de tout. Ils sont les tout-puissants de l’importation avec des privilèges et arrangements douaniers. Ils transforment les populations en consommateurs, misant sur l’importation du tout fini sans penser ne serait-ce qu’à une petite unité d’assemblage de vélos dans leur ville d’origine.

Mal nous en a pris d’être nés Kabyè pour que nos frères politicards saignent le pays et fassent croire à nos parents au village qu’ils se maintiennent au pouvoir pour protéger les Kabyè de la prédation des autres peuples. Et les vieux, à quelques pas de la tombe, continuent d’invoquer la protection de nos ancêtres sur les prédateurs pendant que nos jeunes frères sont taxés partout ailleurs d’aider leurs frères politiciens à tuer le pays. Quel contraste!

  1. Essozimna Atchole, vous êtes un Kabyè, qui plus est un acteur clé de la diaspora togolaise. Un cadre a été créé pour rassembler toutes les énergies et construire le pays. Pourquoi ne parlez-vous pas dans les oreilles de votre frère et homonyme? Il a pourtant tendu la main à toutes les énergies…

Nous sommes dans une gouvernance de leurre. Tout est leurre. Il y a quelques mois on a plagié notre organisation (Conseil de Togolais de l’Etranger) pour mettre en place un Haut Conseil des Togolais de l’Extérieur. Le régime togolais avait alors prétendu que c’est un creuset des compétences de la diaspora togolaise aux fins de mieux canaliser leur participation au développement et à la gouvernance. Beaucoup de nos frères se sont laissés prendre à ce piège. Temps perdu, énergie dépensée et expositions au lynchage politique, la diaspora togolaise a pris tous les risques et montré sa bonne foi à travailler avec Faure Gnassingbé pour aider le pays. Quelques mois après, le bilan est là. Ils ont réussi à diviser profondément les Togolais de l’Etranger. Il y a eu des bagarres sérieuses dans le cadre de ce machin de HCTE, plusieurs jeunes ne s’adressent plus la parole à nos jours. Plusieurs projets de la diaspora ont été volés, des plans mis en place pour déstabiliser la diaspora critique et l’empêcher de voter. C’est sous le regard complice de ce HCTE que nos sœurs ont été jetées dans la rue au Liban sans aucun geste, pendant que Robert Dussey faisait le tour des pays du monde pour négocier l’exemption de VISA au cercle restreint de détenteurs de passeports diplomatiques. Voilà le tableau.

Vincent Bolloré plaide coupable de corruption au Togo, notamment sur le financement de la campagne électorale de Faure Gnassingbé pour avoir des avantages dans ses affaires au Togo. Le gouvernement est-il corrompu ?

C’est un secret de polichinelle. Sinon, pourquoi a-t-on tant de mal à déclarer les biens et promouvoir la transparence dans la gouvernance depuis près de 20 ans de gouvernance ? Quel Chef d’Etat africain veut qu’on le prenne au sérieux s’il dit vouloir gouverner pour le développement sans promouvoir la lutte contre la corruption ?

Si la France ne découvre la vérité que maintenant, les Togolais impuissants assistaient au théâtre macabre des amours entre corrupteur Bolloré et corrompus Togolais depuis des décennies. Des Français et européens comme Vincent Bolloré, il y en a des centaines au Togo qui exploitent la jeunesse togolaise et remercient notre pays avec l’évasion fiscale ou d’autres crimes économiques avec la complicité de nos dirigeants. Au même moment, ils paient des impôts sur l’immense fortune qu’ils font dans notre pays à la France. Et le jour qu’une guerre interne éclate entre politiques français, on décide de flatter l’opinion africaine en livrant quelques boucs émissaires sous la coupole de la justice. Ces pagailles ne nous émeuvent plus en Afrique.

Que faire M. Atcholé ?

Même dans la jungle, les buffles, les gnous et toutes les proies font un front contre le lion. Il n’y a que les opprimés togolais qui ont l’air de penser qu’ils vivraient mieux en se détruisant entre eux victimes. Certains sortent dans le dos des frères de lutte pour aller signer le pacte avec le diable. Il n’y a que comme ça qu’on a réussi à nous rabaisser dans ce pays pendant 61 ans.

Aucune chancellerie, aucun prélat, aucun officier de l’armée, aucun leader de l’opposition ne viendra nous délivrer des griffes des gens avec qui nous pactisons dans l’ombre. Notre avenir est entre nos propres mains. Nous avons à choisir entre sacrifier nos intérêts immédiats pour l’avenir de nos enfants ou continuer notre traitrise et faire de nos enfants des serviteurs d’autrui dans leur propre pays. L’orgueil, l’égoïsme et l’immaturité politique de certaines oppositions au Togo font plus mal que les méfaits du clan Gnassingbé.

Aux frères, parents, jeunesse Kabyè.

Je lance une invitation à la réflexion et l’analyse de l’attitude de ces gens que nous avons soutenus pendant plus de 60 ans. Quelles en sont les retombées pour nous, nos enfants et notre communauté ?  Qu’est-ce que nous avons eu de ce régime ?

Quelle fierté avons-nous obtenue du régime du fils que certains soutiennent aveuglément depuis 16 ans ? Un tour de la ville de Kara nous laisse avec des larmes aux yeux. L’hôtel Kara est en ruine et démodé. Les rues n’ont guère changé depuis 30 ans. L’hôpital n’est qu’un racolage de murs de bâtiments. Le centre des affaires sociales de Kara où nous dansions à l’époque est délabré. Le lycée Kara complètement délabré. Le pont de Kara, le seul accès à la ville venant de Lomé est en ruines. Rien, nous disons rien n’a été ajouté à ce que Eyadema a fait depuis les années 80. Why?

Les montagnes qui faisaient la fierté de notre paysage sont complètement déboisées, Toutes les fermes environnantes (Sarakawa, Djamdè, Bouno etc.) sont confisquées pour l’élevage personnel des Gnassingbé). Pendant des décennies, nous sommes toujours obligés de courir et aller quémander des terres ailleurs afin de valoriser notre énergie et notre savoir faire agricole. Nos enfants sont laissés-pour compte et continuent d’aller monnayer leurs énergies au Nigéria.

Combien cela coûte un hôtel 5 étoiles à Kara? Combien coute un boulevard circulaire à Kara ? Combien coûte la mise en place d’une industrie, etc. ?  Togo textile, Sotoco etc. Tout ça est parti en fumée. Que faire d’un fils qui n’est même pas capable de reconstruire les œuvres de son père et qui choisit de tout revendre aux étrangers ?

Pour aller à Kara venant de Lomé, une seule route, La nationale N°1. Quand une catastrophe comme l’effondrement du pont d’Amakpapé à l’époque viendra bloquer le passage, c’est par avion que vous irez à Kara ? Et pourtant plus de la moitié des milliardaires Togolais sont de Kara.

A chacun de savoir faire les bons choix qui peuvent garantir un lendemain meilleur à nos enfants. Pourquoi vous soucier de votre billet de 2000F et de votre bière d’aujourd’hui, tant que vous ne savez pas où dormiront vos enfants après votre mort ? Dans quelles écoles iront-ils ?

Ceux que vous soutenez à tout prix aujourd’hui ne sont pas les seuls Kabyè qui ont été à l’école et qui maitrisent la politique. François Boko, Pascal Bodjona, Olivier Amah etc. ont fait leur preuve, et même à l’international, ils sont incontournables. Nous voulons juste dire qu’il y a des alternatives si tant est que c’est le vote ethnique qui vous préoccupe.

L’heure est grave. Et si vous continuez par supporter ce régime d’un homme et de ses femmes, votre avenir entier est en péril !

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