Politique

La formation d’un gouvernement, un acte évidemment politique: L’opinion d’un juriste.

 

Malgré la pandémie de Covid-19, nombreux sont les togolais qui s’interrogent sur le nom du prochain Chef de gouvernement. Il est une tradition dans les régimes politiques apparentés parlementaires qu’au lendemain de l’investiture du Chef de l’Etat, le gouvernement en place démissionne pour permettre la formation d’un nouveau.

C’est une pratique républicaine qui est la mieux partagée au monde. Ce qui ne fait pas unanimité, c’est le temps de formation du gouvernement. Par endroit, la Constitution est muette sur la question. Et quelques fois, ce processus de formation de gouvernement est enfermé dans un cadre constitutionnel bien précis. En France, bien que la Constitution de 1958 ne prévoie aucun délai pour la formation du gouvernement, la nomination des membres intervient traditionnellement dans un délai particulièrement bref. Une durée réduite qui contraste avec le temps de formation du gouvernement dans certains Etats comme la Belgique,  l’Espagne, les Pays-Bas, ou même dans des régimes parlementaires réputés efficaces en la matière comme le Royaume-Uni et l’Allemagne.

L’inquiétude des togolais, n’est-elle pas fondée ? Le Chef de l’Etat, confortablement réélu selon les résultats proclamés par la Cour Constitutionnelle, dispose d’une majorité parlementaire solide. Nul obstacle donc à la formation du gouvernement. A moins que, cette robuste majorité n’en soit pas une.

Sur quels critères sont distribués les portefeuilles ? Quels rôles jouent les partis parlementaires et extra parlementaires ? Pourquoi le nouveau gouvernement n’est-il toujours pas formé ?

A l’évidence, si un mois après sa prestation de serment, trois mois après son élection, il n’y a pas de formation de nouveau gouvernement, c’est que le Chef de l’Etat n’a pas la tâche facile. Si c’était le cas, les togolais auraient déjà connu le nom de leur Premier ministre et celui des membres du gouvernement. Le Chef de l’Etat, est-il en train de vérifier la « moralité » des potentiels nouveaux ministres ? S’agit-il de l’exigence de la moralisation de la vie politique ?

La moralisation de la vie publique suppose qu’un certain nombre de valeurs morales soient respectées. Et quiconque est pressenti à entrer au gouvernement devrait être à l’abri de toute suspicion. Une enquête de moralité est donc nécessaire et celle-ci peut reculer la mise en place du gouvernement. En plus de la légitimité, l’honnêteté du personnel politique, leur aptitude pour la transparence et leur volonté d’œuvrer réalisation de l’intérêt général sont les éléments décisifs dans la formation d’un gouvernement républicain.

Retenons tout de même qu’en général, il n’y a donc pas de délai prescrit en la matière. Les cas où un délai est fixé sont rares. Le Chef de l’Etat est donc, a priori, libre de prendre le temps raisonnable. Mais la tendance générale est la formation rapide du gouvernement. Aux Etats –Unis,  le fait pour un Président d’envoyer la liste complète de son « gouvernement » pour ratification au Congrès dans les heures qui suivent la prestation de serment du Président, est considéré comme une pratique de bonne gouvernance. Richard Nixon a impulsé cette pratique, à laquelle Barack Obama s’est également plié.

L’hypothèse la plus plausible à notre sens, est celle d’un gouvernement d’ouverture. Un gouvernement dans lequel l’on verra les « grandes figures » de l’opposition. Mais pourquoi, le Chef de l’Etat devrait-il se prêter à une telle pratique malgré lui et en dépit de certains courants internes hostiles ?

Il s’agit avant tout de calmer et de rassurer, et chacun sait pourquoi… Oui, il devrait calmer, et il devrait aussi rassurer. Car, derrière l’impressionnante victoire à l’élection présidentielle et la facile victoire  aux élections législatives de son parti, il y a un air de frustration et de perplexité. Comment le Chef de l’Etat peut-il opérer une telle ouverture politique et s’assurer toujours de la loyauté de son parti politique ? Où va-t-il simplement renoncer à sa majorité actuelle ?  Alors, renoncer au confort d’une telle majorité ne serait pas aisé. Chateaubriand l’avait déjà exprimé au début du siècle précédent en ces termes : « Renoncer à la majorité c’est vouloir marcher sans pieds, voler sans ailes… ».

Sauf qu’ici, le Chef de l’Etat devra convaincre sa majorité d’investir un Premier ministre qui n’est pas issu de son rang. S’il réussit à l’imposer, ce serait un grand coup politique pour lui. Mais comment pourrait-il réussir à l’imposer. Le Chef de l’Etat dispose de l’arme de la dissolution du parlement.

Oui, la dissolution de l’Assemblée nationale. Si, le renouvellement du personnel politique est indissociable de la démocratie et si l’on admet que le principal problème politique au Togo renvoie à la problématique insolvable de l’alternance, il importera de passer par la dissolution du parlement. Mais le problème est que la Constitution proscrit une telle initiative en temps d’état d’urgence. Soit le Chef de l’Etat neutralise l’état d’urgence, soit l’on patiente encore pendant un mois. Une dissolution du parlement serait une initiative osée mais salutaire. Sa mise en œuvre permettra de tendre la perche à l’opposition. Une victoire de celle-ci ouvrirait la voie à une cohabitation entre les différentes formations politiques. Ce qui aura le mérite de calmer les rancœurs et les frustrations générées lors des élections précédentes. En effet, « si l’on postule que la démocratie est la faculté pour tout citoyen d’être tour à tour gouverné et gouvernant, il apparaît que l’alternance au pouvoir participe de l’essence même de la démocratie ». A défaut d’une véritable alternance absolue et radicale, la cohabitation, éventuelle qui sortirait des urnes, serait un moyen de partage raisonnable du pouvoir. Une très grande ouverture politique susceptible d’apporter la paix sociale et par-delà,  inciter les investisseurs à relancer l’économie.

L’idéal en ce moment, serait une dissolution pure et simple de l’Assemblée nationale. Une telle manœuvre permettra aux représentants actuels de montrer à leurs détracteurs qu’ils ne sont arrivés au parlement ni par effraction ni sans compétition.

 

 

 

N’Sinto LAWSON

 

 

 

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