Politique

Faure Gnassingbé face à son destin

 

La feuille de route de la CEDEAO est connue depuis une semaine. Elle est faite de recommandations pensées par l’institution communautaire comme devant paver la voie à une sortie pacifique de crise politique au Togo. Après avoir tenu les câbles durant bientôt un an et s’être opposé au désir d’alternance exprimé par le peuple tout entier, avec toutes les conséquences sur le pays, Faure Gnassingbé est à présent face à ses responsabilités, à son destin tout simplement…

Un chemin tout tracé pour une sortie de crise

Bien des Togolais ont encore en travers de la gorge les recommandations faites par les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, réunis en session ordinaire à Lomé le 31 juillet dernier. Et pour cause, il y a comme un goût d’inachevé laissé. Ils attendaient des dirigeants de l’espace des recommandations tranchées sur le soubassement de la crise politique, à savoir l’alternance au pouvoir, comme l’injonction du retour à la Constitution de 1992 et/ou l’interdiction formelle à Faure Gnassingbé de candidater à un 4e mandat au pouvoir en 2020 au terme de ce 3e qui est déjà une anomalie dans l’espace ouest-africain. Mais les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont réservés d’y aller de façon aussi frontale, pour ne pas créer une jurisprudence dangereuse. Néanmoins tout  bien réfléchi, la feuille de route est une bonne prescription qui pave la voie à une sortie pacifique de crise. Les dirigeants de l’espace ont eu le mérite d’identifier des points sensibles sur lesquels agir. Et les recommandations sur ces questions mises en œuvre devraient permettre de décanter sensiblement la situation.

Même s’il est difficile au commun des citoyens, pas forcément outillés, de bien appréhender la justesse des recommandations formulées, il est évident que la feuille de route trace la voie à l’alternance, du moins à une sortie de crise devant rasséréner le climat politique. Ainsi on tournerait la page sombre vécue depuis bientôt un an, faite de manifestations de contestation, de répression, de morts d’hommes…Des centaines de compatriotes ont dû aussi s’exiler dans cette crise pour échapper à la mort et aux brimades, l’économie s’est trouvée affectée. « Il est vrai que beaucoup de nos compatriotes s’attendaient à voir prendre par la Conférence des chefs d’Etat une résolution interdisant au Président Faure Gnassingbé d’être candidat pour l’élection présidentielle de 2020, et le fait que les recommandations n’en ont pas fait état est pour eux une déception. Mais si l’opposition exploite efficacement les acquis de la feuille de route en les renforçant au cours des discussions à venir et en faisant corriger les insuffisances, nous arriverons aisément en 2020 à l’alternance tant souhaitée par nous tous. Et c’est pour cause que les partisans du pouvoir ne crient pas victoire à la publication de la feuille de route », a justement relevé Me Dodji Apevon, dans une interview accordée au confrère Le Correcteur, dans sa parution n°831 du lundi 06 août 2018. Cette retenue des partisans du parti au pouvoir est une confirmation tacite de cette lecture. Leurs caisses de résonance se contentent juste de narguer la C14 comme quoi, la CEDEAO n’a pas enjoint Faure Gnassingbé de quitter le pouvoir, ou de ne pas candidater en 2020, ni donné suite à  la transition politique réclamée à cor et à cri.

Faure Gnassingbé face à son destin

Après l’annonce de la feuille de route, l’action urgente attendue est la mise en œuvre de la pile de recommandations formulées. Si de façon générique, la classe politique tout entière est concernée, la responsabilité particulière d’un homme est engagée dans cette tâche. Son nom, Faure Gnassingbé.

Il a en effet tenu les câbles durant bientôt un an, restant opaque aux revendications légitimes du peuple togolais qui se résument à l’alternance au pouvoir. On peut lui trouver une circonstance atténuante et essayer de comprendre cette réticence, car il n’est pas aussi aisé d’abandonner la jouissance du pouvoir dont on a fait un culte. Mais ce n’est pas une fatalité de s’opposer éternellement aux aspirations d’un peuple tout entier, même si on a toutes les cartes en main (argent, armée, institutions…) pour s’accrocher. C’est relevé par des indiscrétions que les dirigeants de l’espace n’ont pas voulu donner l’impression de l’humilier chez lui en insérant dans la feuille de route l’interdiction de candidater à un 4e mandat en 2020… Cette feuille de route est en somme une perche à lui tendue pour sortir par la grande porte.

Faure Gnassingbé a donc toujours la chance de décider de la façon dont il compte procéder. Et dans cette perspective, il devra éviter de succomber au chant des sirènes, comme ces voix qui le voient déjà candidat en 2020, comme le fameux sage en chef du RPT/UNIR, Charles Kondi Agba, commentant les recommandations de la CEDEAO. « Faure doit comprendre une chose, tous ces cadres du régime, civils comme militaires qui le poussent dans l’ombre à briguer un 4e mandat en 2020, ne l’aiment pas forcément. Il doit se rendre à l’évidence que ces messieurs et dames sont des compétences avérées, parfois même des gens qui ont plus de diplômes que lui et peuvent aussi légitimement diriger le pays. Ce n’est pas du tout un signe d’amour s’ils le poussent à candidater encore, c’est juste qu’il leur sert de parapluie sous lequel ils profitent allégrement des ressources du pays. Il doit éviter d’être leur otage (…) », relève un analyste.

A en croire le compte rendu du conseil des ministres du vendredi dernier, il semble s’inscrire dans cette dynamique. « Se référant aux décisions de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO relatives à la situation sociopolitique dans notre pays, le Président de la République a réitéré sa ferme détermination à poursuivre ses efforts pour une issue définitive et durable à la situation qui a prévalu, en continuant de rassembler la classe politique et la société togolaise autour des défis et des objectifs communs de paix, de sécurité, de stabilité et de progrès économique et social. Pour ce faire, le Chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de tirer tous les enseignements politiques par rapport à la situation que notre pays vient de traverser et a invité les membres du Gouvernement à être davantage attentifs, individuellement et collectivement, aux messages et aux aspirations profondes de nos concitoyens, dans un esprit de loyauté et de fidélité aux missions qui leur sont confiées », lit-on dans le communiqué. Deux jours avant, c’est son porte-voix Gilbert Bawara qui a semblé donner le ton de ce qui sonne comme une volonté de tourner la page.  « La vérité est que nous n’aurions jamais dû en arriver là, en contribuant les uns et les autres à mutiler notre propre pays et à tourmenter nos concitoyens avec toutes ces violences gratuites, ces exactions et ces dégâts insensés qui ont causé énormément de préjudices et de dommages à la cohésion et à l’économie. Laissons maintenant ces moments de discorde derrière nous et travaillons ensemble, dans un esprit de fraternité et de compréhension mutuelle pour le progrès économique et social de notre pays et pour de meilleures conditions de vie pour nos concitoyens », a-t-il déclaré.

En tout cas, Faure Gnassingbé est face à son destin, il a encore le choix de sortir par la grande ou la petite porte…S’il fait le mauvais choix et le ciel lui tombe dessus, là ce ne seraient plus Tikpi Atchadam et le Parti national panafricain (PNP) son malheur, mais bien lui-même. A bon entendeur…

 

Tino Kossi

 

(Liberté N°2729 du 07-08-18)

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