Politique

Les députés RPT/UNIR contournent la proposition de l’expert de la CEDEAO et adoptent un texte dénaturé


La séance de vote en plénière boycottée par l’opposition parlementaire

Loin de l’actualité immédiate faite par la reprise de la mobilisation populaire sur toute l’étendue du territoire national, le pouvoir RPT/UNIR continue ses manœuvres sur le front des réformes constitutionnelles. Ses députés ont procédé, en solitaires, à l’adoption d’un texte dénaturant la proposition de l’expert de la CEDEAO abusivement présenté comme une mouture fusionnée avec le projet de loi du gouvernement. Et c’est ce qu’ils entendaient soumettre à adoption en plénière vendredi dernier. Une séance boycottée par l’opposition parlementaire.

Une mouture dénaturante du texte de l’expert imposée par le pouvoir

La manœuvre avait débuté depuis le 9 novembre avec l’adoption précipitée en conseil des ministres, d’un projet de loi portant modification des articles 59, 60 et 100 de la Constitution du 14 octobre 1992. C’était juste pour court-circuiter le texte qu’allait soumettre la Commission de la CEDEAO, sur proposition de l’expert constitutionnaliste sénégalais recruté, le Professeur Alioune Badara Fall.

Les hostilités proprement dites furent lancées à la Commission des lois le lundi 12 novembre avec les manœuvres du RPT/UNIR qui, au lieu du texte de l’expert, a plutôt soumis le projet de loi adopté par le conseil des ministres. Malgré le refus des élus de l’opposition d’apporter leur caution au plan funeste et le tollé général suscité au sein de l’opposition, le régime est revenu à la charge à plusieurs reprises. Il a fini par valider le jeudi 29 novembre à la Commission des lois, en l’absence des députés de l’opposition, un texte prétendument présenté comme fusionné de ceux de l’expert et du gouvernement.

Il s’agit en fait d’une mouture faite d’amendements apportés à la proposition du Prof Aliue Badara Fall validée par la Commission des lois et qui lui enlèvent toute sa quintessence. En plus des trois articles essentiels devant être modifiés (59, 60 et 100), le pouvoir a touché aussi à deux autres, à savoir le 101 et le 155.

« Ce projet n’a pas fait l’objet de consensus avec l’opposition parlementaire. Il s’écarte du projet de loi que la CEDEAO a soumis au gouvernement à la suite des travaux de l’expert constitutionnaliste », a pesté vendredi sur les réseaux sociaux le Prof Aimé Tchabouré Gogué, Président et député de l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI).

Le texte imposé à la Commission des lois

Article 59 : « Le Président de la République est élu au suffrage universel, direct, libre, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels.

Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire.

Le Président de la République reste en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de son successeur élu».

Article 60 : « L’élection du Président de la République a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux (02) tours.

Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés.

Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, le 15ème jour après la proclamation des résultats définitifs du premier tour, à un second tour.

Seuls peuvent se présenter au second tour, les deux (02) candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix au premier tour.

En cas de désistement ou de décès de l’un ou l’autre des deux (02) candidats, entre les deux (02) tours, les suivants se présentent dans l’ordre de leur classement.

Au second tour, est déclaré élu, le candidat qui a recueilli le plus grand nombre de voix ».

Article 100 : « La Cour constitutionnelle est composée de neuf (09) membres nommés pour un mandat de six (06) ans renouvelable une seule fois :

  • deux (02) sont désignés par le Président de la République dont un en raison de sa compétence et de son expérience professionnelle en matière juridique et administrative ;
  • deux (02) sont élus par l’Assemblée nationale à la majorité absolue de ses membres. Ils doivent être choisis en raison de leurs compétences juridiques et en dehors des députés ;
  • deux (02) sont élus par le Sénat à la majorité absolue de ses membres. Ils doivent être choisis en raison de leurs compétences juridiques et en dehors des sénateurs ;
  • Un (01) magistrat désigné par le Conseil supérieur de la Magistrature ;
  • Un (01) avocat élu par ses pairs et ayant au moins quinze ans d’ancienneté et d’une probité morale ;
  • Un (01) professeur d’université titulaire en droit élu par ses pairs et ayant au moins quinze (15) ans d’ancienneté ».

Article 101 : « Le Président de la Cour constitutionnelle est nommé par le Président de la République parmi les membres de la Cour pour une durée de six (06) ans. Il a voix prépondérante en cas de partage ».

L’article 155 qui était libellé comme suit : « Les compétences dévolues au Sénat pour la désignation des membres de la Cour constitutionnelle sont exercées par l’Assemblée nationale jusqu’à la mise en place du Sénat. Les membres ainsi désignés exercent leur mandat de sept (07) ans », est simplement abrogé.

Rappel de la proposition de l’expert

Article 59 : « Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ou proroger le mandat pour quelque motif que ce soit.

Cette disposition ne peut faire l’objet d’une révision ».

            Article 60 : « L’élection du Président de la République a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux (02) tours.

Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins la moitié des électeurs inscrits.

Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, le 15ème jour après la proclamation des résultats définitifs du premier tour, à un second tour.

Seuls peuvent se présenter au second tour, les deux (02) candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix au premier tour.

En cas de désistement ou de décès de l’un ou l’autre des deux (02) candidats, entre les deux (02) tours, les suivants se présentent dans l’ordre de leur classement.

Au second tour, est déclaré élu, le candidat qui a recueilli le plus grand nombre de voix ».

Article 100 : « La Cour Constitutionnelle est composée de sept (07) membres nommés pour un mandat de six (06) ans renouvelable une seule fois.

– deux (2) sont désignés par le Président de la République dont (01) en raison de sa compétence et son expérience professionnelle en matière juridique et administrative ;

– deux (2) sont élus par l’Assemblée nationale à la majorité absolue de ses membres. Ils doivent être choisis en raison de leurs compétences juridiques et en dehors des députés ;

– un (01) magistrat désigné par le Conseil Supérieur de la Magistrature ;    

– un (01) avocat désigné par ses pairs et ayant au moins quinze ans d’ancienneté et d’une probité reconnue ; 

– un (01) professeur d’université titulaire en droit élu par ses pairs et ayant au moins 15 ans d’ancienneté ;

Le président de la Cour constitutionnelle est nommé par le Président de la République ».

C’est le contenu de la proposition de modifications des articles 59, 60 et 100 de l’expert dans la version finale de son rapport soumise le 27 octobre dernier et validée par la Commission de la CEDEAO, avec une légère modification plus tard à l’article 60 où cette partie : « (…) représentant au moins la moitié des électeurs inscrits », a été supprimée. Et c’est ce texte que la Commission veut voir soumettre à adoption, et elle l’a rappelé le 18 novembre dernier face aux manœuvres du pouvoir en place pour le dévoyer. Mais le régime Faure Gnassingbé n’en a visiblement cure et a adopté un texte dénaturé.

La colère jaune de Christophe Tchao

Voilà le texte imposé à la Commission des lois que le pouvoir voulait faire adopter à la séance plénière convoquée sur le vendredi 30 novembre. Et il comptait sur la présence de l’opposition parlementaire pour servir de caution au passage en force, et prétexter après que c’est l’Assemblée nationale dominée par les deux protagonistes de la crise qui a décidé de se passer du texte de l’expert de la CEDEAO. Au fait de la manœuvre, les élus de l’opposition ont simplement boycotté la séance, laissant le pouvoir assumer. Ce qui a fait gerber le Président du groupe parlementaire RPT/UNIR, Christophe Tchao.

« La Commission des lois a fini son travail, le rapport a été adopté, sinon on ne peut pas fixer la date pour une plénière. Il n’y a pas de texte de la CEDEAO, ni un texte pour le gouvernement. C’est le texte fusionné, le produit final  sorti de la Commission qui devrait être adopté (…) », mais « Nos collègues de l’opposition ne sont pas arrivés, bien qu’ils aient eu l’information par un communiqué officiel. Dans ces conditions, on ne pouvait pas aller jusqu’au fond de ce texte, procéder à son adoption dans les conditions actuelles. C’est pour cela que, conformément aux dispositions de notre règlement intérieur, la plénière a été ajournée », a-t-il râlé au sortir de la séance ce vendredi, et de charger l’opposition parlementaire de « mauvaise foi ».

En réalité, le courroux de Christophe Tchao qui darde une certaine volonté du parti au pouvoir de faire adopter le texte directement à l’Assemblée nationale à la majorité des 4/5e et s’en prend à l’opposition parlementaire, était une grande diversion. Il camouflait en fait la curieuse absence de certains députés du RPT/UNIR –les sources évoquent jusqu’à douze (12) élus absents sur soixante-deux (62) en tout -et même des deux (02) députés de son allié l’Union des forces de changement (UFC), ce qui avait empêché le parti au pouvoir de rassembler le quorum des 2/3e nécessaire pour adopter le texte et le soumettre au référendum tant cher au Prince.

A en croire Tchao, le pouvoir va s’en remettre à l’arbitrage des Facilitateurs. On attend donc de voir ce que cela va donner.

Tino Kossi

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