Politique

Interview de Mme Anne Eza, épouse du détenu politique  Joseph Eza

 

« Je sens un énorme vide autour de moi… Je les supplie de relâcher mon mari »

Depuis le 26 octobre 2017, le nom de Joseph Eza, Chef de projet DBA à Oragroup a été inscrit sur la liste des détenus politiques, les « prisonniers personnels de Faure Gnassingbé ». Dans une interview accordée à notre confrère IVisage Togo (IVT), Mme Anne Eza, épouse de Joseph, décrit les conditions dans lesquelles vivent le détenu et ses proches. Visite quotidienne à la prison civile de Lomé, maladies récurrentes, angoisse, torture psychologique, insomnie et questionnements à n’en point finir. La vie de cette famille a été perturbée par la détention d’un père dont les enfants réclament la présence. « Je ne le vois dans aucune de ces accusations… Je sens un énorme vide autour de moi. Ils (les enfants, Ndlr) réclament leur papa, seulement, ils ne savent pas qu’il est en prison », raconte Mme Anne Eza. Ci-dessous l’interview.    

 

IVT : Mme Anne Eza, Bonjour.

Bonjour.

Vous avez rencontré aujourd’hui votre mari à la prison civile de Lomé.

Je suis avec lui tous les matins depuis son arrestation le 26 octobre 2018. Les visites commencent à 9 heures, donc je m’arrange pour quitter la maison à 8 heures. Cette affaire a chamboulé tout mon programme, mais je suis obligée de le voir tous les matins pour lui apporter sa nourriture avant de vaquer à mes occupations. Je lui apporte de quoi manger toute la journée : le matin, à midi et le soir, il prend des fruits. De façon à maintenir la santé.

Comment va votre mari ?

Il se maintient. Je dirai qu’il se maintient. Ce n’est pas la grande forme, ni le moral. Le moral, ça va, ça vient. La semaine passée, il a même fait un palu.

Comment se passent les visites ?

Je l’ai vu entièrement il y a deux jours parce que d’habitude, c’est à travers la grille que je le vois. C’est comme ça les visites à la prison civile de Lomé. Il ne bénéficie pas de conditions particulières. Ces visites durent 5 à 10 minutes, rarement 15 minutes parce qu’il y a du monde. Il faut faire vite pour libérer la place. Parfois, je demande à ce qu’on le sorte pour qu’on se rencontre au niveau des affaires sociales. La dernière fois, j’ai remarqué qu’il avait vraiment maigri. Il a perdu beaucoup de kilos.

Qu’est-ce que vous lui dites ?

Je lui dis souvent : « Du courage. Ça va aller ». Quand je le vois, je lui dis qu’on va bien. Je lui demande aussi s’il a bien dormi, s’il a bien mangé… De petites questions pour le mettre à l’aise. Je lui dis qu’il a tout mon soutien et qu’on va s’en sortir.

Est-ce qu’il est confiant qu’il va sortir ?

Si, si ! Il est sûr qu’il va sortir.

Qu’est-ce qu’on lui reproche ?

J’ai écouté une liste d’accusations. Je ne sais pas si j’ai tout retenu, mais on l’accuse de complicité à la violence à l’ordre publique, incitation à la violence à l’ordre publique, groupement de malfaiteurs, destruction de biens publics… Ces accusations n’ont rien n’à avoir avec Joseph. Absolument rien.

Est-ce une invention ?

Je ne sais pas… Joseph, c’est quelqu’un que je connais depuis 10 ans. Il n’est pas violent. Je ne le vois dans aucune de ces accusations. Vraiment aucune.

C’est par rapport à son mouvement, son engagement ?

Oui, parce que cette histoire a commencé avec l’arrestation de Messenth Kokodoko qui est dans le mouvement (Nubueke, Ndlr). C’est le 20 octobre que Joseph est parti lui rendre visite, avec le président du mouvement Enos Tchalla, que je connais.

Je n’étais même pas à la maison. Quand je suis rentrée, j’ai vu Joseph et Enos avec deux autres hommes qui partaient. Je ne les connaissais pas. C’est après que Joseph m’explique qu’ils étaient venus faire une perquisition chez nous. Joseph m’a dit que c’est lorsqu’ils ont rendu visite à Messenth, ils ont demandé qu’ils vont aller chez eux faire la perquisition. La perquisition a été faite, mais ils n’ont rien trouvé. Je ne sais même pas ce qu’ils cherchaient. Pour moi, c’est fini.

J’étais là le jeudi 26 octobre 2018 quand ils sont revenus. J’étais avec Joseph qui n’était pas au service le matin parce qu’il avait des problèmes au genou. Il était parti faire la rééducation. Il est revenu et on a mangé ensemble. On discutait par rapport à un voyage qu’il devait effectuer. Je lui disais que je devais voyager avec lui, que je ne veux plus qu’il me laisse seule. Il a dit OK qu’il va prendre les dispositions.

Il voyage beaucoup ?

Oui. Il voyage beaucoup dans le cadre de son service.

C’est de cela qu’on discutait quand on a sonné à la porte. Quand je suis allée au portail, j’ai vu un monsieur qui dit que c’est le Lieutenant Tchao. J’ai gardé le nom. Il a dit qu’il cherche monsieur Eza. Je l’ai installé sur la terrasse et je suis partie appeler Joseph. Je lui ai demandé s’il y a un souci, il m’a dit que lui non plus ne sait pas.

Il est venu et on lui a tendu une convocation. J’ai demandé s’il y a un problème et ils ont dit qu’ils ont besoin de lui pour une enquête, pour lui poser des questions. J’ai dit que mon mari s’apprêtait à aller au service et ils ont dit qu’il pourra y aller après être passé par le SRI. Ils ont dit qu’il doit aller avec eux en même temps. J’ai demandé à l’accompagner et ils ont dit oui.

Quand je suis rentrée dans le garage pour prendre la voiture, j’ai vu qu’il y a un agent posté dans le garage. Je lui ai demandé s’il cherchait quelqu’un et il a dit oui. Je lui ai demandé qui il cherchait et il m’a dit qu’il ne peut pas me répondre. Je suis revenue voir le monsieur que j’ai vu premièrement et il a dit qu’il va libérer le passage. J’ai donc fait sortir la voiture. J’ai pris Joseph avec deux agents qui étaient derrière. Ils m’ont indiqué le SRI et nous y sommes allés.

Joseph était dans une salle avec eux, moi je suis restée sur la terrasse et je le voyais. Ils ne lui disaient rien jusqu’à 19 heures dépassées et ils sont venus me dire : « Madame rentrez chez vous. Allez lui chercher des habits pour qu’il se change. Il va rester avec nous ».

Contrairement à ce qu’ils vous ont dit au début.

Justement. Là, j’ai dit comment est-ce qu’il va rester avec vous ? Ils ont répondu qu’ils doivent lui poser des questions et qu’il est tard. Il va rester avec vous et il ne va pas rentrer avec moi ? J’avoue que là j’ai eu un choc.

Je suis revenue à la maison pour lui chercher des tapettes. Je lui ai demandé s’il va manger et il a dit non. Il m’a dit qu’il ne sait pas ce qu’il y a. J’ai dû le laisser là-bas. Hum…

Lorsqu’ils voulaient l’interroger au SRI, était-ce en présence d’un avocat ?

Il n’y avait aucun avocat. D’abord quand nous sommes partis au SRI, ils ne lui ont pas posé de questions. Du moins, jusqu’à ce que je parte. Ils ont juste pris son téléphone qui était avec moi. Après, j’ai fait appel à Me Kpande-Adzare qui est venu le lendemain. Mais il n’a pas pu le voir le jour-là. C’est le samedi ou même le lundi qu’il a pu le voir.

Quand vous repassez le film de tous ces événements, qu’est-ce qu’on pourrait lui reprocher ?  

Franchement, je ne comprends pas. Je réfléchis, je réfléchis, mais je ne comprends pas. Au début, je le prenais comme un cauchemar qui va s’arrêter, mais ça dure. Je ne le vois pas dans tout ce qu’on lui reproche. Quand j’ai vu le communiqué à la télé et je l’ai eu par message, je ne le retrouve pas dans les chefs d’accusation. Je ne l’ai jamais vu lancer une pierre. Depuis que je le connais, je ne l’ai jamais vu tenir le col de quelqu’un.

Votre état d’esprit ?

J’avoue que je me sens vraiment abattue par rapport à tout ce qui se passe. Chaque jour, je me pose des questions. Je sens un énorme vide autour de moi. Je n’arrive pas à rentrer dans notre chambre. C’est trop émouvant pour moi. Je dors au salon depuis. Depuis le 26 octobre, je dors au salon. Je ne peux pas dormir dans notre chambre.

Le désespoir total ?

Je ne suis pas désespérée, mais je me demande ce qu’il se passe. C’est ma grande question. Et ça va finir quand ?

Et les enfants ?

Ils vont bien. Ils sont avec leurs grands-parents. Ils réclament leur papa, seulement, ils ne savent pas qu’il est en prison. Pour eux, papa est en voyage. Depuis plusieurs mois, papa est en voyage. Et ils acceptent difficilement cette version. Nous ne voulons pas les impliquer dans ça parce que ça peut les traumatiser.

 Qu’est-ce que vous entrevoyez de faire ?

Je me demande ce que je vais faire encore. J’ai engagé un collège d’avocats et ils disent qu’ils sont là-dessus et que ça va aller. On a fait déjà trois demandes de remise en liberté provisoire qui n’ont pas marché. Et ce que je ne comprends pas, c’est qu’ils sont deux à être accusés de complicité, mais il y a un qui a été relâché en décembre 2018. S’il y a deux complices, pourquoi l’un est libéré et l’autre est toujours en détention ? C’est la grande question que je me pose.

Des contacts avec les autorités togolaises ?

Non. Rien. Personne n’a cherché à me dire quoi que ce soit.

Pensez-vous peut-être que quelqu’un parmi les autorités togolaises peut lui en vouloir ?

Pourquoi lui en vouloir ? Qu’est-ce qu’il lui a fait ?

Est-ce qu’il vous parle des conditions dans lesquelles il est détenu ?

Quand il commence à m’en parler, je lui dis pardon parce que j’ai pris sur moi de ne jamais pleurer devant lui. Ne jamais afficher un sentiment de découragement, donc je n’aime pas discuter des sujets qui vont m’attrister. Quand il commence, je lui dis de parler d’autre chose. Je sens un peu ce qu’il vit là-bas. Par exemple, je sais qu’il ne dort pas sur un matelas. Je sais qu’ils sont nombreux dans la cellule. Je sais qu’il n’a pas sa douche à lui et qu’ils se lavent ensemble, et tout.

Un message à l’endroit de ceux qui vous font subir ça ?

Oui. S’ils nous écoutent, je les supplie de relâcher mon mari. Il souffre, j’en souffre, les enfants en souffrent, ses parents en souffrent. J’ai appelé mon beau-père l’autre fois et il m’a dit qu’il a devant lui la nourriture, mais il n’arrive pas à manger. Franchement, il ne mérite pas ça. Je les supplie vraiment de le relâcher. Ça me fait pleurer énormément. Il y a des jours où je ne me retrouve pas du tout. Il y a des jours où c’est vraiment difficile, insupportable.

Sur le plan santé, je suis tout le temps malade. Depuis trois jours, j’ai des maux de tête. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. C’est une grande torture psychologique parce que je ne dors pas. C’est difficile et il faut le vivre pour le comprendre. Quand je lui rends visite, le quitter c’est pénible. Il a les larmes aux yeux… Il a pleuré devant moi au SRI.

Le jour où c’était terrible pour moi, c’est quand il est arrivé le 31 octobre au parquet en menottes. Je ne trouve pas de mots pour l’expliquer. C’est plus qu’une humiliation de voir Joseph en menottes. J’étais à terre. Je ne pouvais pas l’imaginer, même pas en rêve. Parce que je lui dis souvent que je suis plus dynamique que lui. Il parle doucement, il ne bouge pas. Si c’était pour moi, j’allais comprendre ; mais lui, je ne comprends pas.

Le jour-là, j’espérais que le parquet allait décider de le libérer. On a attendu jusqu’à 20 heures et j’ai vu un avocat sortir. Je lui ai demandé comment ça se passait et il m’a dit qu’ils vont le déposer à la prison.

Le jour où ils sont venus le chercher, il devait aller à son travail. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Par rapport à son travail, ils nous ont envoyé un courrier de suspension de contrat. Il était chef projet DBA à Oragroup. Le contrat est suspendu parce que depuis qu’il est en détention, il ne se présente plus à son travail.

Merci Mme Eza.

C’est moi qui vous remercie.

Interview transcrite par la Rédaction

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