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Badja ou le néant, quatre ans après le passage de Faure Gnassingbé

QUE DIT LA VAR ?/  Construction de fermes avicoles dans l’Avé

Badja ou le néant, quatre ans après le passage de Faure Gnassingbé

. Le Groupe Kalyan des Gupta dans le mensonge d’Etat et le pillage

Début 2015. Faure Gnassingbé est en précampagne pour son 3ème mandat après ceux de 2005 et 2010. Il était partout à la recherche des voix des électeurs. Toutes les méthodes sont employées, pourvu que cela permette de donner un semblant de popularité à l’héritier de Gnassingbé Eyadema. Il atterrit ainsi à Badja dans l’Avé à une quarantaine de kilomètres au nord de Lomé. Malgré la pose de la première pierre, la construction des fermes avicoles intégrées dans les deux localités, notamment Badja et Ando, est restée à l’étape de promesse électoraliste. L’espoir suscité au sein de la population fait désormais place à la déception.  

Les fermes avicoles intégrées de Badja et d’Ando

23 mars 2015. Plus que quelques semaines pour la tenue de l’élection présidentielle. La circulation sur la nationale N°2, la route de Kpalimé, est fortement perturbée. Et pour cause, le chef de l’Etat se trouve dans la localité de Badja, un canton de la préfecture de l’Avé, pour procéder à la pose de la première pierre d’une ferme avicole.

Le projet financé par le Groupe Kalyan des Indiens Gupta a un coût total de six milliards de francs CFA et est constitué de deux unités de productions, la première à Badja (40 km de Lomé), la seconde à Ando à une dizaine de kilomètres au nord du premier site. « Ces deux unités de production, rapporte l’Agence togolaise de presse (ATOP), comprendront chacune une écloserie, une provenderie, un abattoir, des installations pour le stockage frigorifique, une unité de traitement des déchets, des bureaux et logements pour le personnel ». Selon Ashop Gupta, Directeur du Groupe Kalyan, l’objectif principal de ce projet avicole, c’est de rendre le Togo indépendant dans l’importation de viande de volaille à l’horizon 2019-2020 et de réduire considérablement la dépendance du Togo en matière d’importation de volaille.

En termes de productivité, Badja et Ando auront, quand les unités tourneront à plein régime, « une capacité de production de 4500 tonnes de viande fraîche de poulet avec 24 millions d’œufs par an et une provenderie de capacité de 5 tonnes d’aliments par heure, un abattoir de 1000 volailles par heure et un couvoir de 240 milles poussins par lot ».

Pour le gouvernement, « il s’agit également de venir en aide aux éleveurs locaux en leur fournissant des poussins, des aliments ainsi qu’une assistance vétérinaire afin de stimuler la production et de produire des engrais organiques issus des déchets avicoles pour les agriculteurs», rapporte l’ATOP.

Côté emploi, une centaine directs et 200 indirects ont été annoncés. « Au-delà de l’implantation, il y a lieu de souligner que le projet à Badja et au-delà, pour la jeunesse togolaise. Il est prévu la création de 300 emplois », s’enthousiasme le ministre de l’Agriculture, Ouro-Koura Agadazi.

A cela s’ajoute l’intégration à la ferme d’un centre de démonstration et de formation pour les éleveurs de volailles.

De l’espoir à la désillusion

Pour une population appauvrie par un demi-siècle de dictature, ce projet ne peut que susciter de l’espoir. Le chef de l’Etat en avait bien conscience et a choisi un symbole pour son opération de séduction : le site de l’ancienne société SATAL (Société agricole togolaise arabe libyenne) dont les activités n’étaient autres que l’aviculture. Créée en 1980 grâce à des investissements libyens, la SATAL est non fonctionnelle depuis la fin des années 90. Elle avait une capacité d’abattage de 350 tonnes de poulets par an.

Faure Gnassingbé annonçait ainsi la résurrection de ce qui faisait la fierté de la population et contribuait au développement de la localité. « SATAL représente pour notre localité une fierté. Pour ma génération, c’est le symbole d’une jeunesse à l’abri du besoin. Nous sommes nombreux à y avoir travaillé. Quand nous voyons les ruines aujourd’hui, nous plaignons nos enfants, car ils n’ont pas eu les mêmes opportunités que nous. L’usine a fermé et notre localité s’est éteinte », explique, le regard empreint de vives émotions, un sexagénaire avec qui nous avons échangé à Badja en novembre 2018.

Ce nostalgique de l’époque SATAL espère encore que les travaux de réhabilitation vont incessamment démarrer. « Nous espérons toujours que ce projet va être exécuté. Beaucoup de jeunes de Badja verront ainsi leurs souffrances allégées. Vous savez ? Ici, il n’y a d’autres activités que le travail de la terre et le Zémidjan. Nous sommes convaincus qu’avec l’installation de cette ferme, nos enfants vont trouver du travail. Les jeunes souffrent trop », soutient-il.

Un jeune que nous avons rencontré lors de notre deuxième voyage dans la localité en décembre dernier souhaite vivement que les travaux démarrent : « Nous sommes prêts à aller travailler là-bas. Nous attendons que le projet soit lancé parce que nous n’avons pas d’autres issues. Nous les jeunes de Badja passons notre journée à faire le Zémidjan avec tous les risques que cela constitue surtout que nous utilisons une route nationale très fréquentée. Nous, nous sommes prêts ».

L’attente est vive à Badja et Ando quant à la mise en œuvre du projet, mais au sein de la population, l’espoir suscité au lendemain de la pose de la première pierre s’estompe avec le temps. « C’est vrai que nous avons applaudi quand on nous a annoncé la création de la ferme. Nous étions convaincus que le projet allait être exécuté, mais au fil du temps, nous avons déchanté. Beaucoup ont compris plus tard que c’était juste une promesse de campagne. Certains peuvent encore espérer, mais moi, non », se désole un leader religieux.

Même au sein de l’administration traditionnelle locale on peine à cacher la déception de la population. « La ferme n’est pas encore prête. Ils sont venus faire le lancement des travaux, mais jusqu’à ce jour, rien n’a été fait. Peu de temps après la pose de la première pierre, beaucoup de gens ont commencé à arriver pour avoir des renseignements. Nous leur disons simplement que le projet n’a pas encore connu un début d’exécution », indique une source proche de la chefferie traditionnelle de Badja.

D’autres personnes rencontrées dans le milieu ont également affiché leur déception après avoir nourri l’espoir d’une renaissance de l’ancienne SATAL. Preuve de cette déception, aucune délégation de la population n’a relancé le chef de l’Etat par rapport à sa promesse de campagne. « Non, nous ne sommes plus allés les voir pour savoir ce qu’il en est. Nous estimons que nous n’avons pas besoin de courir derrière le président pour qu’il fasse ce qu’il a promis. Ce n’est pas un  enfant », fait remarquer la source.

Comme pour annoncer l’abandon du projet et conforter ceux qui estiment que c’était une simple promesse électorale, aucun officiel n’est revenu pour expliquer à la population les raisons de ce retard.

Quand nous étions sur le site où Faure Gnassingbé a posé la première pierre et devant laquelle les populations avaient dansé, nous n’avons vu aucun signe de travaux. L’entrée même était envahie par de hautes herbes. Il n’y avait que deux ou trois bâtiments en ruine aux toits décoiffés au fil des saisons. Bien que nous soyons accompagnés par des riverains présents lors du lancement des travaux, il nous a fallu une dizaine de minutes pour retrouver l’endroit où a été posée la première pierre. Cette dernière a été envahie par les plants de maïs longs de plus d’un mètre. En l’absence de travaux, les riverains continuent d’exploiter le site en faisant des champs de maïs et de haricot. La nature a horreur du vide, en effet.      

Gupta et Togo : une collaboration aux contours flous

Pour la réalisation de ce projet dont la mise en œuvre est attendue depuis quatre ans, Faure Gnassingbé s’est associé à des Indiens, la célèbre famille Gupta. C’est elle qui aurait financé le projet à travers une filiale du Groupe Kalyan, la Kalyan Poultry Farm Togo SAU. Cette dernière a été dissoute en décembre 2017 et la transmission universelle de son patrimoine a été faite à la société Kalyan Agrovet Investments Limited. 

Nos recherches nous ont conduits à l’adresse de la Kalyan Poultry Farm Togo SAU sise à la Résidence du Bénin, Villa 142. A la Résidence du Bénin, de nombreuses multinationales avaient clairement affiché leur identité devant leurs portails. Nous n’avons pas réussi à trouver celle des Gupta. Le contact téléphonique fixe se trouvant dans les dossiers de création à la CFE (Centre de formalité des Entreprises), n’était pas non plus accessible. Nous avons sonné le numéro à plusieurs reprises, mais aucun correspondant n’était au bout de la ligne. (En facsimilé notre correspondance qui n’a pas trouvé preneur).

Dans ce projet, le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche occupait une place de choix. D’ailleurs, le ministre en charge du secteur, Colonel Ouro-Koura Agadazi était aux premières loges lors de la cérémonie de pose de la première pierre. Le 22 octobre 2018, nous lui avons adressé une correspondance aux fins de recoupements (Voir fac similé).

Malgré les nombreux suivis effectués, nous n’avons pas eu de réponse de sa part. Y avait-il un vrai projet de création de ces fermes avicoles intégrées ou était-ce une promesse à des fins électoralistes ? La question vaut la peine d’être posée.

Dans tous les cas, des projets avec les Gupta, les Etats doivent s’en méfier. Mais c’est ce type d’hommes d’affaire qui ont pignon sur rue sous Faure Gnassingbé. Un partenariat gagnant-gagnant pour les initiateurs. Quant au peuple, on n’en a cure. Et on peut le mystifier avec des projets bidon à la veille de chaque joute électorale.

Les Gupta. Cette famille indienne est présente au Togo depuis quelques années. De sinistre réputation, elle a été citée dans plusieurs affaires dont celle de détournements des ressources issues de l’exploitation du phosphate togolais. Les Gupta sont les principaux clients de la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT). Ashok Gupta et son fils, Amit Gupta exercent à travers leur société de transport maritime filiale du Groupe Kalyan. A eux seuls, ils achètent 90% du phosphate togolais. Une position privilégiée qui serait utilisée à des fins d’enrichissement illicite et de fuite de capitaux.

Selon le dernier rapport de l’ITIE, plus de 61% du phosphate togolais est exporté en Inde. A chaque Togolais de voir le rapport. « Le CDDI (Commissariat des Douanes et Droits Indirects, NDLR) ne dispose pas de chiffres relatifs aux exportations de la SNPT. En effet, la société procède à l’exportation du phosphate directement à partir du Terminal qu’elle exploite et le bureau des douanes sur place n’est pas informatisé et ne dispose pas des moyens nécessaires permettant le suivi des exportations en quantités et en valeur », indique le rapport ITIE à la page 63.

Autre domaine où les Gupta sont présents au Togo, l’hôtellerie. Le Groupe Kalyan à qui ont été concédées la rénovation et la gestion de l’hôtel 2 février aurait investi 100 millions de dollars pour remettre l’hôtel sur pied. Le 26 avril 2016, le PDG du Groupe Kalyan, Ashok Gupta a procédé au côté de Faure Gnassingbé à l’inauguration de l’ex-Radisson Blu Hôtel 2 Février. « Notre ambition a été de faire du 2 février le plus bel établissement de la sous-région ouest-africaine », affirmait Ashok Gupta.

Le Groupe Kalyan est en territoire conquis au Togo et s’est fait offrir beaucoup de terrains pour des projets agricoles. Après la cérémonie de Badja, le chef de l’Etat a, le même jour, procédé à la pose de la première pierre pour une usine de production de l’huile de palme à Avétonou dans la préfecture de l’Agou. « A la date d’aujourd’hui, le Togo importe 18.000 tonnes d’huiles de palme et donc avec l’implantation de cette usine agroalimentaire, dès lors qu’elle va monter en régime, le Togo pourra produire 24.000 tonnes. Pour nos besoins avec les 18.000 tonnes que nous importons, ça fait une sortie de devise de l’ordre de 2 milliards. Donc, l’initiative du Chef de l’Etat est à saluer parce qu’elle permet de renforcer notre économie nationale », s’est félicité le ministre Agadazi qui gère des centaines de milliards de FCFA dans des projets agricoles dont les résultats se font rares comme l’urine d’un lézard. D’un coût de plus de 32 milliards, ce projet devrait, dit-on, créer 1 200 emplois actifs. Sans oublier que « le schéma des producteurs satellites bénéficiera à environ 5 000 ménages ». Mais depuis quatre ans, il n’y a que quelques jeunes plants de palmier à huile qui luttent contre les herbes sur le site de l’ancienne SONAPH.

Il nous revient par ailleurs que le grand espace vert se trouvant au niveau du poste de péage d’Aného aurait été octroyé au Groupe Kalyan pour un autre projet agricole.

Ce groupe indien s’intéresse aux autres ressources minières du Togo. « Travaux de recherche sur le diamant : Le projet comprend deux permis de recherche couvrant une superficie d’environ 372 km2 accordés à la société KALYAN Resources depuis avril 2016 dans la préfecture de Wawa », précise le rapport ITIE publié le 28 décembre dernier.

« Travaux de recherche sur l’or et le platine : Il s’agit du permis de recherche d’or et de platine n°33/MME/CAB/DGMG/DRGM/2016 accordé à la société KALYAN Resources couvrant la zone de Yaloumbè, préfecture de Blitta pour une superficie de 53 km2. Ce permis a été accordé et signé le 16 juin 2016 », ajoute le rapport. Et comme toujours, ces travaux de recherche sont des exploitations déguisées de ces minerais.

Le scandale sud-africain

En dehors du Togo, les frères Gupta, notamment Ajay, Atul et Ashok ont été très célèbres en Afrique du Sud. C’est par ce pays qu’ils ont foulé pour la première fois le sol africain en 1993. Le premier des frères Gupta à s’y être installé est Atul. A ses débuts, il avait ouvert une boutique de vente de chaussures.

Mais très vite, et avec la fin de l’apartheid, les Gupta ont étendu leurs affaires à travers le rapprochement de l’administration sud-africaine avec l’Inde. Les autres frères Gupta rejoignent Atul en Afrique du Sud après la mort de leur père et intensifient leurs activités. Ils acquièrent une société minière au bord de la faillite, avec le soutien de hauts cadres de l’administration.

Sous cette dernière, les Gupta se constituent un véritable empire minier et médiatique. En décembre 2018, le New York Times a réalisé un grand reportage sur leur parcours en Afrique du Sud, depuis leur arrivée dans le pays arc-en-ciel jusqu’à leur fuite sous la menace d’arrestation.

Le reportage a révélé que la corruption était leur arme redoutable et qu’ils ont réussi à placer sous leur autorité les responsables de l’ANC (African National Congress) de feu Nelson Mandela. Leur premier collaborateur sud-africain est le fils de l’ancien président Jacob Zuma. Selon plusieurs témoignages, le fils Zuma représentait seulement son père qui était le véritable interlocuteur des frères Gupta.

Ces Indiens, fils d’un boutiquier, étaient devenus si riches, puissants et influents qu’ils offraient des postes ministériels à leurs « collaborateurs » au sein de l’administration. Mais au fur et à mesure qu’ils exhibaient leurs richesses – jet privé, emprise sur l’économie sud-africaine, célébrations somptueuses, utilisation des bases militaires à des fins personnelles – amassées grâce à la corruption des fonctionnaires, ils se faisaient des ennemis dans le milieu économique blanc. Ce qui précipita leur chute.

Les Gupta étaient au cœur du scandale de corruption qui a provoqué le départ du pouvoir de Jacob Zuma ainsi que leur propre chute. Leurs biens en Afrique du Sud ont été saisis et ils sont sous la menace de poursuite judiciaire.

Aujourd’hui, les Gupta ont quitté l’Afrique du Sud laissant derrière eux un parti au pouvoir affaibli par de nombreuses affaires de corruption. Depuis leur exil à Dubaï pour échapper aux poursuites judiciaires, ils sont recherchés par plusieurs pays européens. Même en Inde, ils font face à des enquêtes pour blanchiment d’argent dans le cadre du financement d’un immense temple à Saharanpur (en Inde) en mémoire de leur père.

Mais le Togo, la Sicile tropicale, les a accueillis à bras ouverts, leur donnant tout : hôtel, phosphate, terrains et autres, or, diamant, platine. De temps en temps, Faure Gnassingbé peut les utiliser pour vendre des rêves aux Togolais auprès de qui il feint de solliciter des voix en vue de la consolidation de la dictature pluraliste. Bon à suivre.

Géraud A.

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